Dominic Champagne, artiste pour la paix 2011 récompensé pour ses mises en scène et sa lutte au gaz de schiste, vient de réussir en collaboration avec Pierre-Étienne Lessard un vibrant documentaire réunissant en un fil fragile et émouvant son fils Jules et son propre défunt père Roland : ce dernier avait, en tant que sous-ministre du Tourisme, transmis au peuple québécois l’île d’Anticosti. Désormais gérée par la SEPAQ (Société des établissements de plein air du Québec), l’île avait été, dans le passé, tour à tour possession du chocolatier français Menier (d’où le nom de son seul port, Port-Menier) et de la papetière Consolidated Bathurst, filiale de Power Corporation.
Même présenté par Télé-Québec mardi le 20 mai à 21 heures, ce film mérite d’être vu au cinéma sur grand écran (Pour savoir où est présenté le documentaire : www.anticostilefilm.org), pour rendre justice à ses merveilleux paysages de mers, de rivières au saumon, de chutes d’eau, d’oiseaux divers et de couchers de soleil et à l’insolite spectacle de ses chevreuils foisonnants, faute de prédateurs autres que les occasionnels chasseurs. La comparaison entre ce dérèglement écologique causé par l’intérêt à courte vue du sieur Menier et la situation de l’exploration pétrolière potentiellement dévastatrice tient parfaitement la route.
Ce cinéma-vérité prolonge en outre les films de Pierre Perreault (en particulier, ceux donnant la parole aux insulaires de l’Île-aux-coudres) en donnant la vedette principale aux habitants de l’île d’Anticosti, inquiets des projets d’exploration du pétrole de schiste qui pourrait polluer leurs cours d’eau si purs et bousculer leur mode de vie quasi-artisanal. Mais certains d’entre eux sont, au-delà de l’inquiétude, alléchés par le mirage de revenus que la première ministre Marois a faits miroiter en naïf et imprudent argument électoral, en contradiction avec son message de début 2012 perfidement (!) reproduit dans le film.
Les arguments faciles de développement économique, exposés par un maire affublé d’une veste marquée du logo Petrolia, alignant des arguments auxquels visiblement il croit d’autant plus que d’autres projets antérieurs avaient échoué à amener la prospérité à ses commettants, avaient d’abord semblé séduire la chroniqueuse Nathalie Petrowski interviewée par VOIR. Mais son dernier article dans La Presse de samedi 19 mai est très favorable sinon à la thèse, du moins au film, saluant son objectivité de laisser ceux qui sont favorables au pétrole débattre.
Car si Dominic Champagne débat avec son idéalisme militant, il possède aussi un éminent sens démocratique hérité de René Lévesque, à l’écoute de tous et chacun, forcé de reconnaître l’opinion des trois grands partis québécois qui ont amassé 90% des voix aux dernières élections (seuls Québec Solidaire et le Parti Vert s’opposaient à l’exploration). Nathalie réagit alors : « Ça n’appartient pas juste aux gens de l’île, mais en même temps, comment veux-tu qu’on débatte de ça, Dominic? Personne n’est jamais allé. Ça coûte bien trop cher pour y aller, on a l’impression que c’est une affaire bin bin loin, tout ça… ».
Il y a quarante-sept ans, nous étions partis, une vingtaine de scouts dont j’avais la responsabilité, arpenter la Côte-Nord, puis une goélette nous avait amenés à l’île en nous déposant au plus proche, c’est à dire environ à un demi-kilomètre du rivage, nous laissant parcourir cette distance à pied dans la vase. Plus qu’une image, ce pénible effort boueux d’accostage m’est toujours resté en tête, donnant son sens même au nom Anticosti. Notre expérience dément les coûts prohibitifs évoqués par Nathalie, puisque nous avions fait du pouce de Montréal jusqu’à Sept-Îles et marché de Rivière-au-Tonnerre à Havre Saint-Pierre en traversant des cours d’eau (de nos jours, il y a des ponts) en demandant gentiment leur aide aux habitants et aux Innus rencontrés en chemin sans que cela nous coûte un sou, même si la Consol nous avait grondés pour notre intrusion. L’image de mes scouts pataugeant dans la vase alerte aussi à la difficulté d’accoster et surtout aux infinies possibilités de s’échouer que des pétroliers connaîtraient, advenant le fait que les milliers de petits puits donneraient un résultat exploitable du produit visqueux et noir dont nos camions et VUS sont accrocs.
Dominic a aussi eu la présence d’esprit d’envoyer son fils Jules (aucune critique n’en parle, à ma connaissance…) filmer au Dakota du Nord les paysages dévastés par ses innombrables puits de pétrole de schiste, sans manquer d’insérer ses propres dramatiques et pertinentes images de Fort McMurray et de la dévastation du pétrole des sables bitumineux et pour finir, de la catastrophe du Lac Mégantic, justement due à l’explosion du pétrole de schiste du Dakota transitant au Québec vers le Nouveau-Brunswick !!!
Les Artistes pour la Paix adhèrent complètement à la démonstration de ce film imparable par sa rigueur et son émotivité au service du bien commun: merci aussi à Jorane qui a offert une musique digne de la beauté sauvage de l’île, ainsi qu’à mes collègues de l’UQAM, le physicien Marc Durand et le sociologue Éric Pineault, pour avoir avec Gilles Gagné, Ugo Lapointe et d’autres présents dans le film, tracé le chemin à suivre et surtout à avoir dénoncé celui à ne clairement pas suivre!
Je connais bien des gens qui sont allés faire le voyage jusque là-bas… l’île d’Anticosti est aussi mythique que l’île d’Orléans et les Îles de la Madeleine… Je n’ai pas vu le film dont parle Pierre et je n’ai pas de télé, alors je ne serai pas au rendez-vous lors de la diffusion de demain soir… Mais ces scouts me parlent et ces bords difficiles à atteindre aussi…
Il m’arrive régulièrement de réfléchir sur les phénomènes sociaux entourant l’évolution des techno-sciences… la critique écoféministe de cette techno-science me semble très crédible… trop crédible… Sommes-nous à ce point séparé-e-s de la Nature et de notre propre animalité que toujours les nantis chercheront le profit sans tenir compte des générations futures ?
L’île d’Anticosti est un trésor que nous devons préserver… bien des gens le disent et ceux-ci, celles-ci, n’ont pas nécessairement voté pour QS ou le parti vert… Comme elle est paradoxale notre « petite démocratie distincte »…
Connaissant son existence, pourquoi Dominic Champagne ne fait pas la promotion de la pétition (de plus de 38 300 signatures) pour sauver l’île Anticosti de la destruction venant des pétrolières??? Il l’a bien fait avez la pétition de Mme. Marie-Hélène Parant demandant un moratoire sur le gaz de schiste dans la vallée du St-Laurent. Pétition qui a recueilli 128 000 signatures. (il est vrai qu’à cette occasion il faisait passé cette pétition comme étant sa réalisation)
https://secure.avaaz.org/fr/petition/Lile_dAnticosti_un_tresor_du_patrimoine_naturel_mondial_en_danger_face_aux_petrolieres/?pv=87