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La ministre Bibeau annonce sa politique d’aide internationale féministe.

Le 11 juin 2017, le gouvernement de Justin Trudeau a lancé sa nouvelle politique d’aide internationale féministe [1]. Cette annonce, présentée dans l’ombre de la présentation en grande pompe de la politique de la défense et de la sécurité le 10 juin, est presque passée inaperçue dans les médias, sauf dans les grands médias comme le journal Le Devoir [2] et le Globe and Mail [3] et quelques rares autres.

D’entrée de jeu, rappelons que le gouvernement de Justin Trudeau a annoncé qu’il augmentera le budget de la défense de 70 % en dix ans. Il lance le Canada dans un gigantesque programme d’achats d’armes pour renforcer l’armée canadienne, se pliant de plus en plus aux propositions des États-Unis et de l’Organisation de l’Atlantique Nord (OTAN) qui réclament que chaque pays membre en vienne à investir 2 % de son Produit intérieur brut (PIB) dans le budget de la défense. Écrasée par ce projet militariste pharaonique, la politique d’aide internationale féministe reste avec un budget gelé de 150 millions de dollars soit l’équivalent d’un avion de combat Super Hornet… Pourtant, depuis 1970, l’Organisation pour les Nations unies (ONU) demande aux pays riches d’investir 0,7 % de leur PIB dans l’aide internationale. Malgré cet objectif mondial, le Canada se traîne plus que jamais les pieds; selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), il vient de descendre à 0,26 % de son PIB! Dans un communiqué, l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) a aussi dénoncé un tel décalage abyssal entre les deux propositions budgétaires [4]. En d’autres mots, le gouvernement présente une politique de deux poids deux mesures enrobées de phrases creuses truffées de vœux pieux et de généralités brodées sur une vision floue du féminisme axée autour de la notion de sécurité. Dans ce contexte, affirmer, comme le fait le gouvernement canadien, que la promotion des droits individuels des femmes dans les pays en difficulté est sa priorité se limite à de la surenchère verbale.

Cette politique invite les femmes à participer aux négociations de paix, mais sans qu’elles en aient les ressources [5]. L’aspiration de millions de femmes consiste d’abord à en arriver à des conditions de vie décentes pour espérer un avenir pour elles et leur famille. Dans ce contexte de pauvreté généralisée dans plusieurs pays, quand le gouvernement canadien clame sur la place publique que le renforcement du pouvoir des femmes « constitue le meilleur moyen de bâtir un monde plus pacifique, plus inclusif et plus prospère », cela ne veut rien dire si la priorité n’est pas accordée au développement des collectivités locales. En ce sens, les politiques, les programmes et les budgets ne suivent pas les babines. Rien ne change. Cette proposition politique, en apparence progressiste dans le radotage politique, ne s’attaque pas du tout aux causes structurelles de la pauvreté des femmes et de leur famille même si le gouvernement prétend chercher des solutions aux inégalités et à l’exclusion.

On propose comme finalité de « renforcer la paix et la sécurité dans le monde » par une approche dite féministe auprès des femmes des pays en difficulté; en soi, c’est une volonté louable. Il reste beaucoup à faire pour prêter main forte aux millions de femmes confrontées à des problèmes cruciaux comme la faim, la soif, à des besoins fondamentaux comme l’accès à l’éducation, aux soins de santé et à un habitat décent. La participation des femmes passe par le soutien constant à un développement local cohérent, structurant et adapté à leurs conditions. Évidemment, une telle perspective suppose aussi un investissement plus sérieux et plus conséquent de la part du gouvernement canadien.

Plusieurs questions restent donc en suspens. Pour améliorer le sort des femmes dans des situations de pauvreté, d’exploitation de toute sorte et d’exclusion, le gouvernement propose-t-il des mesures structurantes concrètes ? Non. Compte-t-il appuyer le renforcement de programmes d’éducation cohérents accessibles aux femmes ? Énigme. Comment fera-t-il pour encourager la participation des femmes à la vie sociale, économique, culturelle et politique dans les nombreux pays qui ne respectent pas les droits des femmes ? Nul ne le sait. À la lumière de la complaisance du gouvernement canadien à l’égard de l’Arabie Saoudite, pays qui ne brille surtout pas par son respect des droits des femmes, rien ne permet de croire qu’il fera quoi que ce soit. Il y a là matière à réflexion. Dans ce contexte, que signifie l’expression « investir dans l’avenir de la paix et du développement » par des programmes féministes ? Mystère. Comment, concrètement, le gouvernement s’y prendra-t-il pour développer, peut-on lire, les « capacités locales » des femmes ? Silence. Comment le gouvernement travaillera-t-il avec les organismes de coopération internationale déjà très actifs sur le terrain ? Brumeux.

En résumé, restent intouchés les véritables facteurs structurels d’insécurité des femmes tels les systèmes d’exploitation, les inégalités historiques, les systèmes patriarcaux et autres pratiques de violation systématique des droits des femmes, particulièrement dans les zones de conflits armés. Répétons-le, l’avenir supposément radieux de l’aide internationale féministe du Canada vanté par un discours tarabiscoté faussement progressiste est compromis par l’absence de moyens et de volonté politique pour le mettre en oeuvre. Air connu. À quand un véritable effort de solidarité internationale ? À quand un changement profond sur le plan des efforts pour une meilleure répartition de la richesse et de l’égalité des chances au Sud comme au Nord ? Nous en sommes toujours au niveau de l’utopie, dans l’indifférence généralisée.


[1] Politique d’aide internationale féministe du Canada : Champ d’action 6 : la paix et la sécurité

[2] Cornellier, Manon, Défense et aide humanitaire : triste déséquilibre, Le Devoir, (12 juin 2017). http://www.ledevoir.com/politique/canada/501006/defense-et-aide-humanitaire-triste-desequilibre

[3] Tomlin, Jess and Rachel Vincent. Canada walks the talk on global women’s rights. Globe and Mail, (June 12, 2017). https://www.theglobeandmail.com/opinion/canada-walks-the-talk-on-global-womens-rights/article35266653/

[4] AQOCI. La politique d’aide internationale féministe du Canada est prometteuse, mais sans financement, est-elle réaliste ? (13 juin 2017) http://www.aqoci.qc.ca/?La-nouvelle-politique-d-aide

[5] Seules quelques femmes bien éduquées et bien nanties peuvent espérer jouer un tel rôle. Jess Tomlin et Rachel Vincent ont bien souligné cet aspect dans le Globe and Mail en donnant l’exemple de madame Leyman Roberta Ghowee, prix Nobel de la paix; cette femme remarquable, originaire du Liberia, a lutté contre la dictature du président Charles Taylor, ce avec l’aide du Canada. Elle a réussi à mobiliser des femmes et à arracher un accord de paix. Elle est un exemple éloquent certes, mais elle ne représente qu’une minorité. http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/08/leymah-gbowee-il-faut-soutenir-toutes-les-feministes_4878863_3212.html