4 avril Il reste trois jours avant le vote : lundi ressemblera-t-il à un printemps? La triste marche de l’ASSÉ privée de porte-parole crédibles était un présage décevant d’un pays qui s’apprête à « avancer en arrière »: à la base, leur cri du cœur contre une austérité imposée par le 1% qui continue à voter des salaires millionnaires à des gestionnaires de banques et à des constructeurs de F-35, de bombes nucléaires et de drones armés, aurait dû inspirer des discours créatifs…
Mais c’est comme si ce printemps reste gelé dans la sloche des demi-mesures. Merci à Dominique Lévesque qui propose le slogan humoristique suivant reflétant l’ambigüité des Québécois: « Je suis DÉTERMINÉ à voter pour les VRAIES AFFAIRES, alors JE VAIS VOTER AVEC MA TÊTE car je crois que C’EST POSSIBLE! » « Alain Décis » semble tergiverser :
– oui à l’écologie, car le BAPE nous protégerait – peut-être – des dommages potentiels à Anticosti?
– oui aux nations Cris et Innues, mais l’exploration uranifère serait envisageable dans les monts Ottish, ainsi que la mine d’apatite à Sept-îles?
– oui à l’environnement, mais l’inversion de pipeline pour acheminer du pétrole des sables bitumineux de l’Ouest, honni dans le monde entier, servirait l’indépendance énergétique?
– oui au rétablissement de la ligne ferrovière à Lac Mégantic, mais comment nettoyer le lac? Même question pour la baie de Sept-îles, victime d’un déversement de mazout à l’automne dernier…
– oui à la fracturation du schiste pour en extraire du pétrole ou du gaz naturel, alors que notre regretté Frédéric Back dessinait l’avenir fait d’énergie thermique captée du sol et ne produisant que du gaz carbonique non polluant…
– oui à l’égalité hommes-femmes, mais comment ne pas être révulsés par la glauque mise en valeur de la charte qui emprunte des accents anti-musulmans, tout en épargnant la secte Lev Tahor dont les malheureuses femmes s’enfuient au Guatemala, tout en laissant les discours officiels de l’archevêque de Québec sanctifier Marie-de-l’Incarnation, sans un seul mot pour envisager l’égalité des femmes dans l’Église elle-même et chez les premières nations? Pourquoi ne pas rappeler le superbe portrait de cette pionnière auteure de lexiques en langues autochtones dressé par Jean-Daniel Lafond, Lorraine Pintal et Marie Tifo ?
– oui à la laïcité, mais le crucifix continue à trôner à l’Assemblée Nationale et les écoles catholiques profitent de subventions dont nos écoles publiques surtout dans les quartiers pauvres sont cruellement privées…
– oui au méga-projet de cimenterie, mais engagements frileux envers les logements sociaux et les projets communautaires…
– oui à un salaire minimum relevé, mais pas trop…
– oui à la culture, mais on subventionne seulement les industries culturelles, pas les artistes?
Si j’habitais l’Ouest de Montréal qui vote monolythiquement libéral, je voterais sans hésiter Québec solidaire; si j’habitais Montréal Centre dans les comtés où PQ et QS luttent pour la première place, je voterais Amir Khadir, Françoise David et… mais j’habite Magog où trône depuis des années le libéral Pierre Reed auréolé d’immobilisme auprès des élites locales complaisantes. Il est peut-être à la portée de son adversaire péquiste Michel Breton qui l’aurait remporté en 2012 s’il avait pu compter sur les votes de la radieuse et compétente représentante QS (qui est toujours là). ChacunE trouvera bien son vote selon son comté et ce n’est pas vanter un concept déshumanisé de vote stratégique que de favoriser le bon sens pour tenter d’éviter le retour des sinistres ministres libéraux que les sondages placent majoritaires.
J’admire une personne qui habite ma région depuis bientôt un quart de siècle. Son engagement pro-francophone indéfectible pour protéger les éditeurs de la faillite et son combat tenace pour le respect du droit d’auteur l’a faite connaître et respecter de tous ses collègues et aurait dû la rendre presque aussi célèbre que Claude Robinson! Voici sa brillante analyse que je l’ai priée de me faire parvenir pour la partager avec vous. Son éloge de la modération n’inclut pas les vociférations de François Legault. Mais peut-être doit-on crier dans notre société pour franchir le mur du silence érigé par les 1%…
Votons « Modération »
« Comme des milliers de personnes, la présente campagne me donne la nausée et je peine à décider comment voter. Après l’hiver catastrophique qui a défoncé le budget des familles, j’aurais voulu qu’on parle de pauvreté, de celle des femmes, des enfants, des autochtones, qu’on parle d’environnement, de culture, de programmes sociaux… Peine perdue. Partout des clips, des raisonnements tronqués ou tordus, des mentis et démentis qui rendent confus.
D’un bout à l’autre du spectre gauche-droite — somme toute fort étroit si l’on compare ne serait-ce qu’à l’Europe ou au Canada — qu’avons-nous exactement ? Un QS qui prône la répartition équitable de la richesse entre classes sociales, entre sexes et entre générations, mais qui peine à en imposer les thèmes. Une CAQ qui innove parfois dans le sens du QS (fardeau des contribuables), parfois dans le sens du PQ (charte et langue) et parfois si bien dans le sens du PLQ qu’ils se font emprunter des idées (plan Saint-Laurent). Un PQ qui se fait digne représentant des valeurs et de la langue d’un peuple, mais qui cherche encore un équilibre entre les forces du capital et des retours sur investissements pour la collectivité québécoise. Un PLQ dont le slogan fait peu pour nous faire oublier que le « développement des affaires » est l’expression utilisée pour justifier la collusion et la corruption.
Sur la vision, QS l’emporte ; sur les solutions pratiques, la CAQ ; dans le champ identitaire, le PQ est champion ; sur l’économie, le PLQ se déclare le mieux placé, mais davantage sur la base de son fédéralisme que sur ses propositions concrètes, et ne gagne finalement que la bataille de la peur.
Alors, pour qui voter ?
J’en suis venue à me donner une règle pour en décider. Qui m’offre les garanties de modération suffisantes pour que je me sente confortable durant les quatre prochaines années ?
Intégrité
Évacuons tout de suite la question de l’intégrité. Le système de prête-nom dans lequel tout le monde semble avoir trempé est comme le dopage dans le sport. Du moment qu’un camp y a recours impunément, les compétiteurs n’ont d’autre choix que d’y recourir ou de renoncer à tout jamais à la victoire de leur option. Pour qu’un système cesse d’exister, il faut une volonté collective, des lois qui égalisent à nouveau les chances pour tous : c’est fait. Il est facile pour QS et ON d’être vierge et difficile pour les grands partis de contrôler leurs troupes et d’être imputables de tous leurs gestes. Attention aussi aux coups d’éclat de transparence ; dévoiler ses avoirs ne garantit pas l’intégrité, tous les éthiciens vous le diront. Alors, laissons l’UPAC et la Commission Charbonneau faire leur travail et condamner ceux qui doivent l’être. La sagesse voudrait qu’on laisse tomber le garrochage de boue sous peine de commettre des injustices et de briser des vies.
Souveraineté et instabilité
Le PLQ dit que les souverainistes créent de l’instabilité politique, donc économique. L’entrée de PKP au PQ n’aurait-elle pas dû rassurer l’élite économique ? L’un des leurs qui croit profondément à la viabilité économique d’un Québec indépendant n’aurait-il pas dû calmer le jeu ? Or ce fut le contraire. Cette réaction a semé le doute en moi sur la validité de l’argument. Se pourrait-il que l’instabilité soit générée par ceux qui ont les moyens d’intervenir dans l’économie dans le but d’affaiblir l’option souverainiste ? En tout cas, les trois partis souverainistes (ON, QS et PQ) ne devraient pas être écartés sur cette base. Le PLQ dit aussi que les souverainistes se perçoivent comme des victimes : a-t-on jamais entendu aussi souvent accoler le mot « victime » à celui de « Québécois » que par le PLQ ? Fédéraliste ou indépendantiste, n’avons-nous pas tous droit à la fierté d’être ce que nous sommes ? Ici, la modération voudrait qu’on accorde à toutes les options la capacité de réussir un projet de société et d’en être fier.
Charte de la laïcité
Suis-je la seule à préférer le ton modéré et modérateur de M. Drainville – qui a entendu les extrêmes lors de la Commission parlementaire sans perdre son calme -, aux envolées de M. Couillard sur l’intolérance et la xénophobie des Québécois et sur son refus du projet de loi de Mme Houda-Pépin contre l’intégrisme ? À l’heure où l’ex-président américain Jimmy Carter publie un livre dénonçant la situation catastrophique des femmes comme le plus grand enjeu actuel de l’humanité, j’opte pour la Charte, toute la Charte. Je n’y vois pas de discrimination, seulement la volonté de respecter le plus grand nombre. Au droit de femmes de ne pas avoir à choisir entre le voile et un emploi en garderie ou à l’école, j’oserais respectueusement opposer le droit de milliers de parents à une garderie et une école où leurs garçons et filles ne verraient pas quotidiennement une différence visible qui relève parfois de la culture ou de la coquetterie, j’en conviens, mais qui provient de sociétés patriarcales où l’inégalité homme-femme est prévalente.
Sens démocratique
Sur la question du référendum, nous avons le choix entre une démarche vieille de 40 ans où les péquistes ont démontré un réel sens démocratique. Toujours prendre le temps de consulter avant d’agir — ce qu’est un référendum —, n’est-ce pas préférable à se faire imposer une constitution unilatéralement, qui plus est sur fond de manoeuvre de la Cour suprême et de désinformation (on sait maintenant que les États-Unis auraient reconnu un Québec indépendant) ? Qu’est-ce qui est le plus mesuré : un livre blanc pour réfléchir aux avantages et inconvénients d’une éventuelle indépendance suivie d’une consultation, ou s’appuyer sur un résultat d’élection pour amorcer la rentrée de la nation québécoise dans un pays qui lui ressemble de moins en moins ? Cette position du PLQ est trop loin de la tradition, même de la tradition libérale. J’aimerais mieux miser sur le réflexe démocratique du PQ, revoir les vieux arguments à l’aulne de la mondialisation de l’économie et donner à tout le monde le droit de changer d’idée, dans un sens ou dans l’autre.
Santé et éducation
Est-il plus raisonnable en période de compressions budgétaires d’investir nos ressources dans le public ou dans le privé ? Nos systèmes de santé et d’éducation publics sont les lieux par excellence de la répartition solidaire de la richesse et de l’égalisation des chances pour tous les Québécois. Ferais-je confiance à un Dr Couillard et un Dr Bolduc qui ont de diverses manières contribué à l’essor de la médecine privée, ou à un Dr Hébert et une Véronique Hivon qui ont préparé des lois assurant de meilleurs soins pour tous durant la vieillesse et en fin de vie ? Ce n’est peut-être pas le temps de brasser des affaires. Ici, la prudence milite en faveur d’une consolidation de nos systèmes publics au bénéfice du plus grand nombre.
Équipe solide pour gouverner
J’adhère instinctivement aux idées de QS et à celles de la CAQ quand elles visent à alléger le fardeau des gagne-petit. Toutefois, bien que l’on trouve parmi leurs candidats de grandes pointures— qui oserait contester la qualité de parlementaire et de député d’un Bonnardel ou d’un Khadir —, je crois qu’en période de redressement des finances publiques, d’indispensable stimulation de l’emploi et d’investissement massif dans les infrastructures, il nous faut une équipe, et une équipe qui apporte de l’expérience, de la rigueur et de la mesure à chaque portefeuille. Voter PLQ ne ferait que retourner au pouvoir la même quinzaine de ministres qu’avant, du pareil au même. Il est vrai que les premiers mois de pouvoir du PQ ont donné lieu à des cafouillages, c’est pourquoi je ne risquerais pas un tiers parti pour l’instant, ni un changement de gouvernement. En revanche, on ne peut douter de l’intégrité et de la compétence de ministres actuels comme Hivon, Saint-Arnaud, Drainville, Marceau et Gaudreau. L’équipe ministérielle du PQ a acquis de la profondeur, même si je lui aurais voulu plus de compassion pour les plus démunis.
Assainissement des finances publiques
L’alternance au pouvoir des Libéraux, qui desserrent la bourse, et des Péquistes, qui la resserrent pour atteindre le déficit zéro, nous a conduits deux fois à répudier les péquistes (pensons aux coupes de salaires dans la fonction publique en 1980 et aux attritions massives dans la santé en 1995), mais nous devrions être vigilants de ne pas reconduire au pouvoir ceux dont on a démontré une difficulté à contrôler la collusion et les dépenses publiques dans les infrastructures. Le Québec a réussi à prospérer grâce et malgré cette alternance, mais j’aurais le goût de donner une chance au gouvernement actuel de poursuivre l’assainissement des finances publiques, tout en le sommant d’éviter les erreurs du passé.
Représentativité
Sur la question de la représentativité, des partis qui pourraient former le gouvernement, c’est encore le PQ qui semble le plus équilibré. Après QS, c’est celui qui se rapproche le plus de la parité homme-femme (37 % de femmes candidates) ; il a aussi su recruter une relève capable d’occuper d’importantes fonctions (Léo Bureau-Blouin, Martine Desjardins), il réunit le plus de candidats ayant une solide formation (30 détenteurs de Maîtrise) et il reflète un large éventail de la société québécoise (du milliardaire au moniteur de terrain de jeu).
Donner le ton
Sur le ton encore, j’oserais une analyse bien féminine. Comment se fait-il que des journalistes trouvent Mme Marois agressive quand elle débat, alors que cette même attitude confère à M. Couillard des qualités de chef ? On dit que les femmes sont émotives : a-t-on seulement relevé le niveau d’émotivité chez M. Couillard ? Tout sauf la mesure : « je déteste », « chu pu capable», « j’en ai assez de ce discours », « elle va y goûter », etc. C’est à s’ennuyer de l’assurance tranquille et du sens de l’humour de Jean Charest. Je ne doute ni de l’intelligence ni de la compétence de M. Couillard, mais il y a longtemps qu’un homme politique ne m’a autant inquiété par sa démesure émotive et son recours aux arguments d’autorité jusqu’aux menaces, quand il est acculé. Que fera-t-il en situation de crise ?… Quelqu’un se souvient-il du calme de Mme Marois après l’attentat sur sa vie le soir des élections ? Quelqu’un se souvient-il de son aplomb devant les catastrophes de Lac-Mégantic et de l’Isle verte ?
En guise de conclusion
À l’évidence, mon cœur est plus solidaire que néo-libéral ; malheureusement cette campagne débridée en aura décidé autrement. Je n’aspire qu’à la quiétude d’un gouvernement modéré et compétent qui saura assurer une certaine cohésion sociale pour au moins quatre ans. L’idée, c’était de me décider. Enfin. Voilà. C’est fait. Les Québécois sont astucieux et ont tendance à éviter les extrêmes.
Je me réclame de cette sagesse.
Je vote pour la modération sous toutes ses formes, et elle me paraît actuellement être davantage dans le camp du PQ. »
Aline Côté, Orford
Merci Pierre.