Certes,
artiste contre la paix …des lâches compromissions,
contre la paix …achetée sur le dos du peuple,
contre la paix …imposée par des militaires surarmés et colonisateurs,
par des policiers et gardiens de prison véreux,
contre la paix …des historiens politically correct et des éditorialistes aux raisonnements tautologiques et aux circonvolutions prévisibles,
contre la paix …des universitaires hautains sûrs de leur supériorité intellectuelle en vase clos ou celle des diplomates aux phrases creuses,
contre la paix …des évêques pédophiles qui nient tout problème d’orphelins de Duplessis,
contre la paix …des Donald Rumsfeld, Dick Cheney et George W. Bush pourfendeurs de « terroristes » Palestiniens, Kurdes, Tchétchènes, Ouïgours, Basques, Ogonis, Québécois, bref des minorités, des « losers », quoi…
Au lendemain de ce samedi 3 octobre 2009 dans l’église Saint-Jean Baptiste, nous étions pénétrés de cette ferveur réunissant parents et amis de Pierre Falardeau debout, de leurs salves d’applaudissements le poing levé, de leur immense amour pour cet homme si humain, en accord avec les paroles justes du prêtre officiant « qui n’avait toutefois pas l’intention de le canoniser, encore! » Comment expliquer, à mes nombreux amis outrés par ses opinions exprimées parfois avec violence, par exemple à l’égard de Claude Ryan, que porté par ma responsabilité de président des Artistes pour la Paix, j’avais fait 260 kilomètres aller-retour pour rendre hommage à un artiste contre la paix et pour entendre son fils (si émouvant) promettre de continuer le combat avec ses griffes et ses dents, s’il le fallait?
Son raisonnement était-il sans failles? Bien sûr que non! Ses jugements à l’emporte-pièce débordaient tout cadre décent, ses insultes gratuites pleuvaient sur les ennemis qui se multipliaient et sa hargne n’abandonnait pas facilement les mollets des pharisiens sépulcres blanchis dans lesquels il avait planté ses crocs, parfois des années durant. Son aveuglement de pitbull lui faisait perdre les pédales (par exemple, son attaque contre le blogueur de La Presse Patrick Lagacé).
Comme pacifiste, je n’avais pas adhéré à son film « Octobre», surtout après « Les ordres » de Brault où l’essentiel me semblait avoir été dit. Même si j’ai ri à m’en décrocher la mâchoire à certaines scènes jouées par Julien Poulin, digne successeur de Charlot, avait-on vraiment besoin de tant étirer la sauce Elvis Gratton?
Or, il nous faut excuser les dérapages de Falardeau car ils provenaient d’un trop plein d’amour pour le pauvre, l’humilié, le québécois : un amour incommensurable qui se lisait dans son regard d’une douceur extrême, sa tendresse paternelle envers sa famille, son sourire souvent extirpé des liens qu’il faisait avec une facilité d’intelligence et signifiant : « Here we go again », encore une manifestation de colonialisme épais, encore une manipulation d’arnaqueurs payés pour entretenir un système qui n’a cure de justice sociale. Pierre aimait d’un amour jaloux de père veillant à la vertu de sa fille, le Québec : gare aux politiciens manipulateurs qui prétendaient vouloir le bien du pays pour l’en déposséder !
Cet amour, cette tendresse fondamentale, comme on les a vécus avec :
… son chef d’œuvre 15 février 1839 où le couple Sylvie Drapeau-Luc Picard nous arrache les larmes et comme ils nous ont dit leurs textes de Gaston Miron et de Pierre Vadeboncoeur dans l’église le 3 octobre!
… le Party, où son amour pour nos frères prisonniers, sa tendresse pour leurs femmes courageuses, crevaient l’écran, à l’aide d’une chanson de Richard Desjardins « Liberté? Liberté! » (« Mon cœur est un oiseau ») que chantait une héroïne anonyme, de tout son cœur, de toutes ses tripes.
… Les bœufs sont lents mais la terre est patiente ou la liberté n’est pas une marque de yogourt. Et comme cette simple et authentique qualité d’amour désintéressé si émouvante nous manque.
… sa prise de parole résistante contre la reconstitution de la bataille des Plaines d’Abraham qui a conduit au Moulin à paroles, pas mal plus créatif!
Mon estimé collègue Daniel Gingras m’écrit : « Pierre déstabilisait en empêchant le statut quo. Mais pour réveiller les gens qui dorment, ne faut-il pas parler haut et fort?! Certains l’aimaient, d’autres pas. Mais n’est-ce pas le rôle de l’artiste que de déstabiliser? Bien sûr, il parlait un langage de la rue et du peuple plutôt qu’un langage intellectuel, mais il n’en était pas moins un ».
Falardeau me regardait comme une bibitte, ne comprenant pas un engagement qui n’allait pas de concert avec son idéal, son but d’indépendance et de liberté à l’origine de TOUT, s’emportait-il! S’il avait pu compter sur des milliers de camarades, aurait-il pris son fusil de patriote et fait la guerre pour son idéal, serait-il mort pour l’indépendance, ce avec quoi évidemment je ne pouvais ni n’aurais voulu à aucun prix me réconcilier? Ses mots excessifs auraient-ils poussé quelque esprit faible à tuer pour l’indépendance, ce que lui-même, je le crois fermement, n’aurait jamais fait? La réponse est très simple : non.
Pardonnons ses excès pour son immense générosité sans calculs, comme lui a eu la générosité de pardonner mon pacifisme. Je raconte. Comme je lui avais, au Salon du Livre à son kiosque Stanké des années auparavant, soutiré un autographe en compagnie de l’éditrice patriote Aline Côté, à l’UQAM avant qu’il y donne une conférence, je m’étais avancé vers lui, malade, pour lui serrer la main et je m’étais re-présenté : « Jasmin, président des Artistes pour la Paix ». Haussement d’épaule et regard un peu excédé de sa part jusqu’à ce qu’une personne de son entourage lui dise : « C’est le professeur qui a obtenu de la rectrice de l’UQAM d’accorder un doctorat honorifique à Mikis Theodorakis lorsqu’il a donné son Canto general sur un poème de Pablo Neruda à l’Église Notre-Dame ». Je remercierai jusqu’à mon dernier souffle ce collègue pour le sourire radieux véritablement ému qui illumina tout à coup le visage de Pierre qui rebroussa chemin pour me serrer vigoureusement la main, avant de se retourner pour marcher lentement vers sa conférence. Puis il revint péniblement sur ses pas : « Aïe, le pacifiste! » (Cela sonnait comme aïe, le smatte!) « Theodorakis a résisté les armes à la main contre les nazis et les Anglais : artiste pour la paix, quand même? » Ce n’était ni le lieu ni le moment de mentionner le combat mené en zigzags par Theodorakis au sein de quatre partis aux idéologies dissemblables, cherchant avant tout à favoriser la démocratie au service des pauvres et des arts et la paix entre Grecs et Turcs, paix menacée tour à tour par les idéologies nationalistes manipulatrices des communistes de l’intérieur puis de l’extérieur, des conservateurs Karamanlis et des socialistes Papandréou, préférant se retrouver seul, mais pur, loin de tout chef d’armée. Je me suis contenté de répondre, avec le sourire : « Oui, artiste pour la paix …et pour la justice sociale! »
Pierre Jasmin
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