Figure si complexe dont nulle biographie ni même autobiographie (Nous sommes tous des acteurs aux éditions Lescop, 1998) ne saurait épuiser la densité, notre camarade Jean-Louis Roux fait la une des journaux, qui ressortent avec raison son rôle prépondérant de fondateur du Théâtre du Nouveau-Monde (1951) dont il fut directeur de 1966 à 1982 : il interpréta des rôles majeurs comme le roi Lear de Shakespeare, auteur dont il écrivit plusieurs traductions et qu’il interpréta au Festival de Stratford, il défendit contre la censure cléricale des œuvres controversées comme les fées ont soif de Denise Boucher et son fédéralisme ne l’empêcha nullement de faire distribuer en 1970 aux spectateurs de Jeux de massacre d’Ionesco un feuillet protestant contre l’instauration de la Loi des mesures de guerre. Directeur de l’École nationale de théâtre (1982-1987), nommé par son ami Jean Chrétien à la présidence du Conseil des arts du Canada de 1998 à 2004, les médias ignorent cependant les aspects de sa carrière reliés aux Artistes pour la Paix, lacune que le présent article souhaite, trop hâtivement, combler.
Mais auparavant, nous désirons vous informer qu’un hommage sera rendu ce dimanche à l’homme de théâtre Jean-Louis Roux, décédé jeudi dernier à l’âge de 90 ans. C’est au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) que cette cérémonie ouverte au public et organisée avec la famille se tiendra en après-midi. Dès 13 h, les proches de Jean-Louis Roux et l’équipe du TNM recevront la famille, les amis et camarades de jeu du défunt ainsi que les amateurs de théâtre. Une cérémonie d’adieu ponctuée de témoignages de comédiens et de comédiennes l’ayant côtoyé se tiendra à compter de 16 h. Lundi, la direction du TNM a précisé qu’au lieu d’envoyer des fleurs, la famille invite les gens à donner à la Fondation du CHUM et à l’École nationale de théâtre (ÉNT).
Jean-Louis accepta en 1984 la tâche confiée par la nouvelle Assemblée générale des Artistes pour la Paix de rassembler les artisans du mouvement fondé au cours des années 1983-84 : les Yvon Deschamps, Judi Richards, Raoûl Duguay, Gilles Marsolais, Gilles Vigneault et Margie Gillis, notamment. (Le chanteur Joseph Rouleau me demanda de le remplacer comme vice-président, ce que je fis de 1985 à 1988 auprès de Jean-Louis puis, jusqu’en 1990, auprès d’Antonine Maillet, choisie par Jean-Louis pour lui succéder).
D’une politesse exquise de gentleman, mais visionnaire intransigeant quant aux buts poursuivis, Jean-Louis Roux présentait ce paradoxe d’être à la fois membre de l’élite du pouvoir canadien libéral et porté par l’idéal communiste de sa jeunesse. Paradoxe irritant pour le jeune pianiste revenu d’un séjour d’études d’un an au Conservatoire de Moscou et qui lui reprochait sa proximité avec le mouvement pour la paix mondiale discrédité par son financement soviétique : c’est pourquoi les APLP décidèrent ensuite de fonder un mouvement pour la paix non aligné, soutenu notamment par les APLP Luc Boily, Jean-François Garneau, Gilles Marsolais et Dimitri Roussopoulos. Jean-Louis l’approuva de bonne grâce, puisque son communisme sans dogmatisme épousait l’idéalisme de fraternité mondiale porté par ses maîtres du théâtre français Gérard Philippe et surtout Jean Vilar, fondateur du Festival d’Avignon et du Théâtre National Populaire, tous deux compagnons de route du Parti communiste français et parmi les tout premiers à signer en pleine guerre froide l’appel de Stockholm contre l’armement nucléaire (1960).
Au Canada, l’action pour la paix de Jean-Louis Roux se portait bien au-delà de sa présidence : à la suite d’un rapport des APLP co-rédigé par Dimitri et moi, la Ville de Montréal se déclara Zone Libre d’Armements Nucléaires et se dota d’une politique à cet effet, grâce à un comité dont le maire Jean Doré confia la présidence à Jean-Louis Roux dès 1988.
Sous ma première présidence de sept ans, l’Enquête populaire sur la paix et la sécurité (voir qui sommes-nous sur le site www.artistespourlapaix.org) est organisée au Québec dans des locaux rue Bleury prêtés par Trizec grâce à Jean-Louis; 42 000 cartes postales des APLP contre les hélicoptères EH-101 de la companie Agusta dont les pots-de-vin entraînèrent la condamnation à la prison du secrétaire général de l’OTAN le ministre socialiste belge Claes, précipitent la chute brutale du gouvernement conservateur, qui ne conservera que deux députés, dont Jean Charest.
Les libéraux arrivés au pouvoir annuleront le contrat de six milliards de $ et entérineront momentanément les suggestions des APLP « pour une politique de défense canadienne étanche aux pressions du complexe militaro-industriel ». Titre de mon rapport présenté en 1994 devant le comité du Sénat et de la Chambre des Communes sur la Défense du Canada, dont je confie la lecture à Jean-Louis, nommé sénateur deux mois plus tard.
Notre fructueuse association ne se termine pas là car le 22 juin 1995, en 2e lecture au Sénat du projet de loi C-68 sur le contrôle des armes à feu, son argumentation favorable, nourrie par des faits rassemblés par la polytechnicienne Heidi Rathjen que je lui transmets, renverse l’opinion du leader conservateur du Sénat, l’Honorable constitutionnaliste Gérald Beaudoin, qui se joindra même aux Artistes pour la Paix à l’instar de son éloquent adversaire libéral!
Mais l’incursion en politique de Jean-Louis sera assombrie par sa nomination comme lieutenant-gouverneur du Québec, qui entraîne la décision des APLP de lui retirer la présidence d’honneur de l’organisme qu’il co-assumait avec Antonine Maillet depuis le début des années 90. Il attribuera son remplacement par Richard Séguin à des éléments séparatistes de notre conseil d’administration, pourtant unanime – fédéralistes et indépendantistes confondus – à considérer que représenter la reine du Commonwealth était incompatible avec l’idéal de paix. La suite des événements prouva la perspicacité du conseil.
J’ai gardé annuellement des contacts chaleureux avec Jean-Louis jusqu’au décès récent de sa belle-sœur Huguette Oligny, à l’occasion duquel je transmis à son fils Stéphane les sympathies des APLP puisque déjà la maladie de Jean-Louis ne lui permettait plus d’être physiquement présent aux funérailles : c’est en conclusion à Stéphane et surtout à mon amie la si vibrante Monique Oligny qu’on me permettra de transmettre les condoléances de tous les Artistes pour la Paix.
Pierre Jasmin, 30 novembre 2013
PS Ce 8 décembre au TNM, l’hommage fut rendu par nombre de ses compagnons de route de 16 heures à 18h 45, et pourtant peu de choses ont été répétées d’un témoin à l’autre, tant la vie de notre compagnon Jean-Louis fut riche et diversifiée. L’hommage des Artistes pour la Paix a été reçu avec générosité et chaleur particulièrement par la famille (très émue de ma référence à Momo, le petit nom charmant que Jean-Louis utilisait envers son épouse), par Andrée Lachapelle (APLP 1989), Pascale Montpetit (APLP2010), Monique Miller, François Girard, Janine Sutto et surtout Lorraine Pintal, qui a réussi le rassemblement de tant de documents inspirants, par exemple des séquences théâtrales, télévisées et cinématographiques inoubliables de cet acteur à la carrière incomparable. Il était un ami tel que je n’en compte que sur les doigts d’une seule main…
Cher Stéphane fils de Jean-Louis,En cette veille de Noël, je me suis attardée devant l’une des vitrines du TNM et me suis sentie profondément émue en regardant la photo de ton père, notre fondateur!J’ai donc pensé à toi, à ta famille, à Monique et l’envie m’a prise de vous souhaiter une année 2014 de renaissance et de vie! Ton message est arrivé avant que le mien ne parte.Tu es un fils reconnaissant et un homme de coeur!
Merci à toi pour ce moment de grâce que nous avons vécu ensemble en saluant Jean-Louis pour la dernière fois. Je vous souhaite de merveilleuses fêtes! Xxxxx TNM J’ai bien vu que vous n’avez négligé aucun détail ni ménagé les efforts et le temps et je pense que nous serons unanimes à dire que c’était une belle réussite et qu’il n’y avait que de l’amitié, de l’amour et de la fierté. Ce moment n’aurait été possible sans votre implication et votre créativité. Je pense que Jean-Louis aurait été fier, touché, reconnaissant et surtout ému J’en profite pour vous souhaiter un très joyeux Noël et une année 2014 remplie de santé À très bientôt |
Courriel une semaine auparavant des APLP à Olivier Chassé:
Merci à vous pour avoir organisé cet hommage multiple et complexe digne de ce grand homme. Quel travail cela dut être: transmettez encore une fois nos remerciements à Lorraine Pintal!
Pierre Jasmin
De : Olivier Chasse [olivierc@tnm.qc.ca]
Date d’envoi : 12 décembre 2013 12:39
Objet : merci
Chères amies, chers amis artistes, nous tenons à vous remercier du fond du cœur d’avoir accepté notre invitation à participer à l’hommage de Jean-Louis Roux, dimanche dernier. Nous rêvions d’une cérémonie à la hauteur du théâtre qu’il a fondé et du rôle important qu’il y a joué.
Très cher Pierre,
J’ai eu le temps ce matin tôt, de lire ton texte vibrant en hommage de Jean-Louis Roux, un géant québécois ( et canadien, disons le!) qui vient de nous quitter.
Personnellement, hélas, je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai eu par contre la chance de lui parler au téléphone à deux ou trois reprises à la fin des années 90, pour justement lui demander de l’aide et un appui pour organiser un événement musical et artistique sacré interculturel/interreligieux, appelé Celestial City ( La cité céleste). C’était après la saga de sa nomination comme Lieutenant-Gouverneur général du Québec et les traitements injustes, injustifiés et inacceptables dont il fut »victime ». Je ne partageais peut-être pas ses penchants radicaux vis à vis la question nationale au Québec, mais même par téléphone, j’ai senti l’homme dans toute son élégance, intelligence et humanité.
Sans me connaitre, il m’a offert des contacts, a pris le temps de me rappeler pour les suivis et de m’assurer de son appui inconditionnel, sans même avoir reçu mon projet, le tout, simplement sur la base de mes explications et réponses à ses questions.
Le projet de Celestial city n’a pu se réaliser à cette époque, entre autres à cause de mon engagement avec Jean-Daniel Lafond et notre film sur ma vie et mon retour d’exil en Iran (Salam Iran, une lettre persane). Mais, deux à trois ans après, nous avons réalisé notre projet en collaboration avec la Ville de Montréal d’une manière magistrale. Je ne me rappelle pas s’il étais présent à cette inoubliable soirée de la célébration artistique par la musique et la danse sacrée, de notre inestimable richesse collective, de notre diversité, mais ce que je sais avec certitude, c’est que c’est grâce à lui, son soutien et ses encouragements que j’ai pu aller de l’avant et matérialiser ce projet.
Je garde donc de lui cette image de grand humaniste dans le sens le plus noble du terme, profondément habité par des valeurs universelles de paix, de liberté et de respect de l’autre dans sa différence.
Le Québec a perdu cette semaine un de ses géants humains et artistiques.
Toutes mes condoléances à sa famille, ses amis et ses collaborateurs dans la colonie artistique.
Amitiés.
Amir
Je garde un beau souvenir de la bienveillance de Jean-Louis Roux à l’époque de la création de Les fées ont soif, de Denise Boucher, alors qu’il dirigeait le TNM. Il a maintenu la pièce dans sa programmation, quand les tentatives d’en museler l’affirmation féministe précédaient de plusieurs mois sa création même. Je suis parti au Mexique avec le manuscrit pour composer loin de la controverse la musique des chansons. Au retour, malgré la protestation de certains groupes ultrareligieux, la pièce faisait salle comble, y compris lors de la discussion qui la suivait chaque soir. Les femmes et les hommes dialoguaient pacifiquement, trêve longtemps attendue dans la guerre des sexes.
Aujourd’hui, quelle que soit notre opinion quant à la laïcité de l’État, l’égalité des sexes est encore soumise à rude épreuve. Mais des hommes comme Jean-Louis ont contribué à la promouvoir de façon artistique, pacifique et créative.