Dominic Champagne ARTISTE POUR LA PAIX 2012 le 29 octobre 2024
Par Pierre Jasmin, secrétaire général des Artistes pour la Paix
28 octobre 2024 Chambre de commerce du Montréal métropolitain au forum stratégique sur les arts vivants et la culture – Place des Arts mais d’abord, retour au 19 février 2012, quand le Québec de la jeunesse – UQAM avec GND – dit non à Jean Charest, oui à son environnement avec Frédéric Back, Gilles Vigneault et les Artistes pour la Paix. L’APLP 2012 Dominic Champagne a profité de sa nomination pour annoncer devant les télévisions la grande manifestation du JOUR DE LA TERRE se préparant pour le 22 avril.
Le texte sur la pancarte de ces trois étudiantes de 2012 résume ce que le metteur en scène Dominic Champagne est venu dire à une table ronde sur la force créative en compagnie de la présidente de l’Union des artistes, Tania Kontoyanni. Chacun devait prononcer un bref discours ; une discussion devait suivre; Dominic était le dernier à s’exprimer. A-t-il étiré son temps de parole? Toujours est-il que le président de la Chambre de Commerce Michel Leblanc est monté sur scène pour l’inviter à sortir de scène en lui disant qu’il « détournait le Forum ». Les artistes présents dans la salle ont alors hué le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Dominic, lui, a quitté la scène précipitamment. La discussion qui devait suivre n’a évidemment pas eu lieu, alors que les artistes crient famine : lire l’article référé (i). Voici ce qu’a écrit Dominic.
VOUS M’EXCUSEREZ MAIS IL FAUT QUE ÇA SORTE! HIER À LA CHAMBRE DE COMMERCE DE MONTRÉAL, ON M’A LITTÉRALEMENT SORTI DE SCÈNE, UNE PREMIÈRE EN 40 ANS DE CARRIÈRE!
Je suis ce matin de retour dans mon jardin au bord du fleuve, et j’ai beau me rappeler les mots de Soljenytsine « qu’en se retirant dans sa tour d’ivoire, l’artiste risque d’abandonner le monde aux mains des mercenaires, des nullités sinon des fous », la tentation de l’exil est plus forte que jamais. Alors qu’on m’avait invité à prendre la parole au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts sur la crise du financement de la culture, le Directeur de la Chambre de Commerce, Michel Leblanc, présumant qu’il était en train de se faire « hacker » son événement par un écoterroriste, est venu cavalièrement m’interrompre avec une condescendance et un manque de respect honteux qui a suscité les huées des gens rassemblés en masse.
Le maître de la cérémonie entre en scène sur ces mots en venant se planter entre le public et moi : « Bon bon bon, on va se faire plaisir. Ça s’appelle un détournement d’événement.» Je n’en croyais pas mes oreilles! D’un naturel aussi enthousiaste qu’explosif, je me suis moi-même surpris de garder mon calme et de me laisser imposer cette censure et ce silence. Alors que le public m’encourageait à poursuivre mon discours, je suis resté poli devant mon hôte, et après avoir salué le public, je suis sorti.
J’ai tenté en coulisses de faire entendre raison à ce triste chevalier qui visiblement, par les termes mêmes qu’il a employés pour m’apostropher, ne voyait en moi qu’un militant écologiste qui n’avait pas sa place dans cette chambre-là. J’ai cru sincèrement qu’il n’avait non seulement prêté attention qu’à moitié à mon propos, et qu’aveuglé par la réputation d’agitateur qui me précède, il n’avait rien compris à la pertinence de mon point de vue sur la question, où j’ai utilisé la métaphore du traitement que l’on réserve actuellement aux populations d’oiseaux et d’abeilles pour parler du statut de l’artiste et du financement de la culture. Je viens en ville une fois par semaine et depuis la rentrée, j’ai été plusieurs fois interpelé par des gens du milieu à prendre la parole publiquement sur la question, ce à quoi je m’étais refusé jusque-là, ayant pris quelque distance avec le métier. Je me contente souvent de faire des chèques aux théâtres, aux organismes et aux amis, de plus en plus nombreux, qui crient famine. Devant cette insistance, j’accepte l’invitation de la Chambre de Commerce avec l’intention, non pas de faire scandale, mais de parler franchement, aux gens du milieu comme aux gens du commerce, de mon point de vue d’artiste longtemps pauvre devenu un jour millionnaire, par un jeu du hasard, si vous me permettez. J’ai cru jusqu’à hier soir que Monsieur Leblanc n’avait rien compris à mon propos. Après avoir tenté de vive voix de lui exprimer ma colère devant tant de mépris et de manque de respect, après lui avoir écrit pour lui demander de diffuser le discours qu’il s’est donné, selon ses termes, le «privilège» de faire taire, je pense ce matin qu’au fond il a très bien compris la teneur de mon propos et que c’est justement là le fond du problème, à la fois du financement de la culture, du peu de cas que l’on fait du statut de l’artiste, et plus largement de la dégradation du monde où le commerce actuel, dans la façon qu’il opère trop souvent, s’effectue. Le but de cette rencontre était de jeter des ponts entre le monde des affaires et le milieu culturel. C’est dans cet esprit que je m’y suis rendu. Si je me suis refusé aux demandes d’entrevues des journalistes et à trop médiatiser ce « détournement d’événement » jusqu’à maintenant, c’était pour mettre mon égo de côté, et l’humiliation, le mépris honteux du Président de la Chambre de Commerce, afin que cet événement puisse effectivement unir plutôt que de provoquer d’inutiles inimitiés.
Je vous laisse ici le texte de mon discours, et le soin de juger par vous-même si ce geste de censure était fondé.
LE CHANT DES OISEAUX
Depuis qu’on m’a invité à prendre la parole ici
Une phrase de Victor Hugo me trotte dans l’esprit
Que vous me permettrez de citer de mémoire :
C’est le matin du monde,
L’aube de notre civilisation
Homère chante
C’est l’oiseau de cette aurore
Avec ces deux poètes,
Qui du haut des siècles contemplent notre civilisation
Je vous demande aujourd’hui
Que seraient nos matins sans le chant des oiseaux?
Et que serait notre civilisation
Sans tous ceux et celles qui depuis Homère
À force de chants, de musiques, de danses et de poésies
Pyramides, cathédrales et symphonies
Ont façonné ce que nous sommes?
Nous sommes aujourd’hui les contemporains
D’une grande inquiétude
Qui a pris ces derniers temps les allures d’une crise
Dont on perçoit maintenant les catastrophes
À l’œil nu et à l’oreille
La phrase de Victor Hugo m’est remontée à l’esprit
Quand on a fait état, il y a une dizaine de jours
Du déclin alarmant des populations d’oiseaux au pays
Une chute marquée, qui va jusqu’à la disparition
Chez certaines espèces.
Dévastation causée par l’activité humaine
Et aussi, il faut le dire, par le comportement des chats
Qui boufferaient 100 millions d’oiseaux
Chaque année au pays
C’est dans les plaines de l’ouest canadien
Que la dévastation serait la plus marquée
À cause de l’usage des pesticides dans la culture du blé
Poser la question du financement de la culture
C’est se demander dans quelle civilisation
Nous voulons vivre
Et jusqu’où nous serons capables,
Maintenant que nous sommes alertés
De faire un usage sage et viable
Des moyens qui sont les nôtres
De toutes ces techniques
Dont nous avons acquis la maîtrise
Depuis le jour où Prométhée a volé aux dieux le feu
Pour en faire don à l’humanité
Et par là lancer la grande aventure de ce que les Grecs appelaient la technè
La maîtrise des métiers et des arts
De la culture à l’agriculture
Les artistes
Dont le métier est de ressentir et d’exprimer
Les grandeurs et les obscurités de l’âme humaine
Sont des canaris dans la mine
Je présume que ce qui nous réunit ici ce matin
C’est le désir d’apporter des solutions concrètes
Pour inverser la tendance lourde
Qui réduit les oiseaux au silence
Au Québec, et plus particulièrement à Montréal,
Les remèdes à cette crise de la culture
Sont d’autant urgents et stratégiques
Que nous assistons à un changement démographique rapide
Et que nous avons besoin
Plus que jamais peut-être dans notre histoire
De nous rassembler autour des chants
Qui savent faire exister
L’harmonie
Et la préserver quand elle est menacée
Si nos économies ont besoin de prospérités
Nos vies ont besoin de sens
Et la culture est là pour ça
Dans une ville, un pays qui s’éveillerait un beau matin sur un monde
Où le chant des oiseaux ne célèbre plus le retour de la lumière
Les citoyens s’en voudraient assurément
De s’être laissé divertir
De l’évidence et de l’essentiel
Par la quête aveugle d’une prospérité industrieuse
Qui aurait fait l’économie du sens
Et de la beauté
Je crois sincèrement que c’est la vie de l’esprit
Qui peut nous sauver
Du matérialisme mortifère
Où nous sommes en train de sombrer
Face à cette peur et à cette menace
Sachant à quel point nous avons
Tous et toutes grand besoin de nous engager davantage
De ce côté-là des choses
Rappelons-nous à quel point
Montréal est une ruche pleine de vitalité
Bien vivante, féconde et créatrice
Et que si nous avons le complexe d’Astérix
C’est que la culture est notre potion magique
Il n’y a pas de doute dans mon esprit
Que le soir où nous entendons
Depuis le cœur de la Tour Eiffel
Résonner la voix de Céline Dion avec tant de noblesse
Et porter haut et fort le chant
Qui réunit ceux qui s’aiment
Il n’y a aucun doute que si cette reine,
Brillant de tout son miel, existe
C’est qu’une ruche l’a mise au monde
Soyons ici ce matin ceux qui aiment passionnément
Le chant des oiseaux
Et qui ont à cœur de vivre dans une société
Capable de se donner les moyens de les protéger
Et de les faire entendre
Haut et fort, encore et encore
Sortons d’ici aujourd’hui plus inspirés que jamais de l’importance
Non seulement de créer une richesse qui soit viable
Mais de savoir la partager
Avec les abeilles ouvrières qui butinent le nectar
Comme avec les faux-bourdons rêveurs
Qui attendent patiemment le jour
Où ils pourront faire à la reine
La cour qui la rendra féconde
Et toute la ruche avec elle
À ceux et celles qui ont le pouvoir d’investir
Dans la ruche le fruit de nos impôts
Je voudrais confier un secret
J’ai longtemps œuvré pauvrement dans un théâtre pauvre
Et quand j’ai signé mon premier contrat avec le Cirque
Des gens avisés voulant m’éviter – je les cite : de me faire laver par l’impôt
M’ont conseillé de prendre une adresse dans un paradis fiscal
Après leur avoir répliqué que je n’allais me prêter à aucune pratique illégale
Ils m’ont bien fait comprendre que leur proposition
Était non seulement tout à fait légale
Mais pratique courante chez certains créateurs de richesse
Le problème n’est pas tant l’argent
Que l’usage qu’on en fait
Loin de moi l’idée de vouloir réduire
Les bienfaits de l’art
À leurs bénéfices financiers
Je n’ai pas fait le compte exact des subventions que j’ai reçues
Qui m’ont permis de faire mes premiers pas dans mon petit théâtre
Mais je sais que les impôts que j’ai payés grâce à mes spectacles
Ont très largement, au centuple, compensé les investissements publics reçus
Si notre civilisation s’enrichit
Au détriment d’une vie qui s’appauvrit
Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond
Un jour, pour faire rouler l’économie
Nous avons vidé de leur sens les dimanches
Journées consacrées aux loisirs
C’est-à-dire au temps improductif dédié à la culture
Avons-nous alors marqué nos semaines
D’un si grand progrès?
Je fais le rêve que nous nous engagerons résolument
À nous investir à fond envers ceux et celles qui se dédient
Corps et âme
Aux manifestations de l’esprit
Qui donnent un sens à nos vies
Et que ces investissements
Dans la vitalité et la qualité de notre culture
Dans la beauté de notre monde
Nous éloignent de l’enlaidissement et de la dévastation en cours
Il est urgent de trouver les moyens
D’accroître le soutien aux artistes
Et peut-être encore davantage d’encourager
La fréquentation de la beauté
Pour que la pollinisation de tout ce qui
Fleurit notre monde
Et nous nourrit
Que toutes ces œuvres et tous les espaces intérieurs
Qu’elles font et feront naître
Nous permettent d’envisager la suite de notre monde
Et de notre humanité
Avec confiance
Et qu’avec les petits oiseaux nous puissions
Vivre dans la dignité
Aucun commentaire jusqu'à présent.