HOMMAGE À UNE FIGURE MÉCONNUE DU SEPTIÈME ART QUÉBÉCOIS

Par Orian Dorais, cinéaste émergent et critique de cinéma

Il était de 70 ans mon aîné, pourtant nous étions amis. Nonagénaire, il me semblait plus énergique et rêveur que bien des gens de ma génération. Il était surtout une source intarissable d’anecdotes sur l’âge d’or de l’ONF – où il a travaillé de 1966 à 1986 – qui a toujours su ravir le passionné de cinéma québécois en moi. Mon ami André « Pétrov » Petrowski est décédé en juillet, à l’âge de 95 ans, et, le 20 août, nous lui avons rendu hommage lors d’une cérémonie à la cinémathèque [le 15 août, c’est à Magog dans les Villas de l’Anse qu’à la mémoire de cet ex-membre du C.A. des Artistes pour la Paix, nous étions invités à emporter un de ses livres : j’ai choisi Boris Vian et Réjean Ducharme Pierre Jasmin]. Ce fut l’occasion de célébrer la carrière discrète, mais importante, de cet homme qui s’est vu dédier l’un des plus grands films québécois de tous les temps, Léolo (1992), réalisé par son fils spirituel Jean-Claude Lauzon.

J’ai rencontré Pétrov par hasard, à l’été 2018. J’occupais alors un emploi d’été dans un musée de la Vallée du Richelieu qu’André est venu visiter. Quand, au détour d’une conversation, il a mentionné s’appeler « André Petrowski », j’ai tout de suite pensé à Minou Petrowski – son ex-femme – et à Nathalie– sa fille aînée – toutes deux des chroniqueuses culturelles légendaires. Mais je me suis aussi rappelé d’avoir lu son nom dans un intertitre au début de Léolo, qui lui dédie le film. J’ai compris que ce monsieur avait longtemps travaillé dans le milieu audiovisuel. Je me suis donc empressé de l’interroger sur sa carrière.

Flatté que je le reconnaisse, il m’a laissé ses coordonnées, m’invitant à prendre contact avec lui. Dès cette première conversation, il m’a fait une forte impression, avec son accent français prononcé, son franc-parler caractéristique et son énergie débordante.

À cette époque, j’étudiais le cinéma au cégep de St-Hyacinthe et, dans les mois qui ont suivi notre rencontre, j’ai souvent fait le déplacement pour aller visiter André à Montréal. Nos conversations dans le café de la Grande Bibliothèque pouvaient durer des heures. Alors que mes cours portaient sur l’histoire du cinéma québécois, j’avais la chance de discuter avec une des dernières personnes ayant connu la grande époque de l’ONF. En tant que responsable de la distribution au studio français, il avait organisé la sortie de plusieurs classiques et avait connu toutes les figures importantes : Brault, Perreault, Groulx, les Dansereau, McLaren (« mon pote »), Larkin, Poirier, Mankiewicz, Arcand, etc.

Dans les années ’80, il avait défendu bec et ongles le projet de faire des copies VHS des films de l’Office, tandis que les artisans plus puristes préféraient que les projets soient uniquement en pellicule. À mon sens, il s’agit d’un des legs les plus importants d’André, car ce virage vidéo préfigure le virage numérique pris par la société d’État. Aujourd’hui, tout le catalogue de l’ONF est disponible sur internet, une initiative applaudie par les cinéphiles. Aussi intéressé par la télévision, il a développé l’idée originale de la série à succès L’Or (Radio-Canada, 2001), de laquelle il a tiré un roman éponyme paru en 2002 aux Éditions Trait d’Union.

Mais on se souviendra surtout de lui pour sa découverte de Jean-Claude Lauzon. En 1970, André s’était retrouvé, un peu par hasard, à donner des formations dans une école secondaire. Il avait soumis un questionnaire à quelques élèves et avait été soufflé par les réponses poétiques données par un jeune Lauzon. André avait immédiatement vu un génie en lui, bien que ses professeurs décrivaient l’adolescent comme un « bum ». André l’a retracé et, pendant des années, il a encouragé un Lauzon souvent récalcitrant à poursuivre ses études et à développer son talent artistique. Il a vu ses efforts récompensés 17 ans plus tard, lors de la sortie triomphale d’Un zoo la nuit (1987).

André était un artisan de cinéma, mais il était beaucoup plus que cela. Au fil des années, j’ai découvert en lui un témoin privilégié de l’histoire, lui qui, né de parents d’origine ukrainienne, a grandi en France durant la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale, a fait son service militaire en Afrique, a fréquenté St-Germain-des-Prés à l’époque de Sartre et Beauvoir, puis s’est installé au Canada en 1956. Un peu comme Georges Brassens ou Jean-Paul Belmondo – qu’il disait avoir connus – il a traversé les fureurs du siècle dernier avec une bonhommie insouciante.

André était aussi un homme de famille et voir tous ses proches œuvrer dans le milieu culturel – Minou, Nathalie et son fils Ezra dans les médias, ses fils Boris et Nicolas en musique – le remplissait de fierté. Il était surtout un éternel idéaliste qui a toujours eu foi en la jeunesse ; le genre de personne qui soutient un jeune homme pendant presque deux décennies parce qu’il croit en son potentiel. Aujourd’hui, il est parti rejoindre Lauzon, qui lui a manqué chaque jour depuis sa mort prématurée en ’97. Je veux rendre hommage à cet irréductible optimiste et célébrer ces rencontres fortuites qui se révèlent les plus marquantes d’une vie.

Merci Pétrov, pour les souvenirs.