20 Juin 2024, par Pierre Jasmin, artiste pour la paix
Jack Robinson/Hulton Archive, via Getty Images dans New York Times
Les Artistes pour la Paix et ma famille offrons nos condoléances à Francine Racette, qui a partagé depuis plus de cinquante ans la vie du grand Donald de six pieds trois pouces à Georgeville, au bord du lac Memphrémagog, là où travaille depuis une semaine ma fille, à 7 kilomètres de chez nous. C’est d’ailleurs à l’Auberge McGowan où il avait sa table que je comptais bien refaire mon approche ratée d’il y a une douzaine d’années environ, quand je lui avais demandé de devenir membre de notre association, puisqu’engagé politiquement, on lui devait un documentaire anti-guerre produit avec Jane Fonda. « J’ai adoré mon partenaire de jeu, Donald Sutherland. Je lui trouvais un côté chien battu, et ses yeux bleu pâle, tombants, étaient particulièrement attrayants. Il avait aussi quelque chose du gentleman de l’Ancien Monde », raconte-t-elle dans son autobiographie. Merci à François Lévesque, critique de cinéma dans Le Devoir, né le 11 mars comme moi, qui raconte : « Avec Jane Fonda, Donald Sutherland milite contre la guerre du Vietnam, notamment au moyen du documentaire de Francine Parker F.T.A. (free the army). Sa participation au drame antimilitariste de Dalton Trumbo Johnny Got His Gun n’est pas étrangère à ses convictions ».
Le gentleman m’avait gentiment répondu tout son respect pour Jean-Louis Roux, notre premier président, mais il n’y eut hélas aucune suite concrète à notre entretien.
Que dire que n’a pas déjà résumé son fils Kiefer avec une simplicité si touchante? « Je crois, personnellement, que c’est l’un des acteurs les plus importants de l’histoire du cinéma. Jamais intimidé par un rôle, bon, mauvais ou laid. Il aimait ce qu’il faisait et faisait ce qu’il aimait, et on ne peut guère demander mieux. »
Des rôles de méchants
Né en 1935 à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, Donald Sutherland grandit sur la ferme familiale. À 12 ans, il suit ses parents à Bridgewater, en Nouvelle-Écosse, où il travaille comme journaliste à la radio locale dès l’âge de 14 ans. À l’Université Victoria, il gradue à la fois en ingénierie et en art dramatique. Son début de carrière à Londres ne présageait guère qu’il allait jouer dans deux centaines de films. Or, il côtoie Lee Marvin et Charles Bronson dans le drame de guerre The Dirty Dozen, de Robert Aldrich, qui lance en 1967 sa carrière cinématographique.
À la fin de sa vie, à partir de 2012, il dénonce la pente dangereuse américaine vers la dictature (trumpienne) dans la série de quatre films Hunger Games, d’après l’œuvre de Suzanne Collins, où il campe, sans jamais tomber dans la caricature, le rôle du président totalitaire Coriolanus Snow : les références du film à la mythologie gréco-romaine sont innombrables, y compris le pays imaginaire Panem (et circenses!) et son Capitole, devant qui se dresse la jeune fille révolutionnaire Katniss Everdeen, personnage inspiré du héros Thésée et de la déesse Artémis-Diane, immortalisé par Jennifer Lawrence. Les décors des arènes s’inspirent d’une architecture de la Rome impériale ou du fascisme mussolinien.
Les cinéastes italiens l’ont particulièrement maltraité il y aura bientôt une cinquantaine d’années : le génial Fellini dans Casanova en fait un pantin désarticulé à la coiffure hideuse, adonné à une gymnastique sexuelle effrénée, transbahuté dans toutes sortes d’épisodes scabreux et bizarroïdes, très éloignés du personnage historique qui fut le bibliothécaire à Dux du comte Waldstein, philosophe des Lumières et mécène de Beethoven.
Bertolucci, dont on dénonce avec raison le mauvais traitement infligé à Maria Schneider via Marlon Brando (Le dernier tango à Paris), a fait de lui le pire vilain au point de le montrer tueur de chat afin de muscler l’ardeur de sa troupe fasciste qu’il veut sans pitié dans 1900, film hyperviolent d’une durée de 5 heures 17 minutes où Sutherland côtoie Robert de Niro, Dominique Sanda et …Gérard Depardieu. Et pourtant Novecento s’ouvre sur la plus inspirante ouverture de film de l’histoire du cinéma mondial (!), une vue de la fresque populaire et historique de Giuseppe Pellizza, Le Quart état, qui s’anime magiquement à l’aide d’acteurs méticuleusement costumés, en marche vers le progrès de l’humanité sur la musique la plus exaltante du grand Ennio Morricone.
Son plus grand rôle, Norman Bethune
Une invitation somptueuse de l’ambassade chinoise, désireuse de plaire aux étudiants canadiens après l’expulsion d’une vingtaine d’« espions » russes par notre pays, nous offre inopinément en 1978 un festin somptueux – surtout considérant l’ordinaire de ma nourriture moscovite – et le visionnement d’un film mettant en vedette Sutherland, Bethune, téléfilm d’une heure et 28 minutes (1977) réalisé par Eric Till.
Ayant d’abord épousé Shirley Douglas, la fille du chef du NPD instigateur de la médecine socialiste au Canada, Sutherland y voit un rôle si passionnant, qu’il décide de le reprendre, dans un long tournage en Chine rurale, celui de leur héros étranger le plus admiré, qui y trouva la mort lors d’une de ses milliers d’opérations pratiquées en pleine guerre sino-japonaise. Wikipedia (qu’on vous recommande d’aider à financer) nous raconte qu’Henry Norman Bethune (né le 4 mars 1890 en Ontario et mort le 12 novembre 1939 dans le district administratif xian de Tang de la province chinoise du Hebei), est un médecin canadien métis qui a agi en Espagne durant la guerre civile espagnole (1936-1939) puis en Chine où sa mémoire est honorée sous la transcription phonétique de son nom, 白求恩, sur l’autel des ancêtres de beaucoup de chaumières et dans plusieurs essais de Mao Zedong. En 1990, la Chine et le Canada ont émis un timbre poste à l’effigie de Norman Bethune pour célébrer le centième anniversaire de sa naissance et voici sa statue de Montréal, près de l’Université Concordia, d’où partent la majeure partie de nos manifs anti-impérialistes.
Chirurgien thoracique pneumologue, Norman Bethune est honoré comme humaniste (vu qu’il est toujours à peu près interdit d’honorer un communiste), innovateur en chirurgie et, tiens tiens, précurseur de la médecine sociale qui a abouti au Canada à l’assurance-maladie universelle le 13 juin 1969. Atteint de tuberculose pulmonaire, il a essayé sur lui-même le pneumothorax artificiel par injection d’un gaz dans la cavité pleurale, avant de développer et de répandre cette technique médicale. Il a aussi conçu des instruments chirurgicaux toujours produits et en usage. Dès son enfance, il a eu une admiration débordante pour son grand-père, chirurgien militaire compagnon d’Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge mort en 1910. Pendant la Première Guerre mondiale, le jeune Norman Bethune travaille comme brancardier. Blessé, à Ypres en Belgique, commune rendue tristement célèbre pour la première attaque au gaz de combat, il continue, par la suite, ses études en médecine à l’Université de Toronto, puis s’enrôle de nouveau dans l’armée britannique comme chirurgien. Il est médecin militaire pour les aviateurs canadiens en France pendant les six derniers mois de la Première Guerre mondiale.
On comprend mieux la fascination de l’immense acteur Donald Sutherland.
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