L’expansion colonialiste américaine commence à donner l’apparence d’un déclin, son hégémonie semble terminée. C’était sans compter un nouvel espace d’expansion, l’espace virtuel. Pour donner un exemple particulier, je veux parler de Facebook, on assiste à l’ouverture exclusive d’un nouvel espace-temps sans limites apparentes, un refuge artificiel, alors que la planète Terre semble être trop petite pour supporter le mode de vie des privilégiés. 

Au départ, internet offrait la possibilité d’une communication interpersonnelle et sociale. Tout le monde espérait un outil supplémentaire pour la démocratie. Mais les routes du Web ont été séquestrées par des géants qui les ont détournées de leur vocation pour des profits publicitaires [Les décrypteurs de Radio-Canada démontrent ce détournement des sources fiables d’informations avec brio, en dénonçant l’intelligence artificielle et ses dérives].

Pour réaliser ce piratage, ils ont inventé[1] :

  • les banques de données sur presque tous les domaines de la vie permettant le regroupement par « bulles de filtre »[2] pour des publicités ciblées très efficaces et donc très payantes et pour du conditionnement politique;

  • les « bulles de filtre » résultent d’algorithmes qui isolent les gens dans des groupes d’intérêts qui permettent une publicité ciblée géolocalisée et interactive;

  • le « microciblage », une segmentation jusqu’à l’individualisation, permettant le développement groupe d’affinités pour leur vendre des produits, des services ou les reconduire progressivement vers des idéologies politiques, ou même des « pièges » informationnels;

  • les « chambres d’écho » qui amplifient et poussent dans les extrêmes l’information et la désinformation en les faisant circuler dans des chaînes d’opinions où elles entrent en résonance émotive avec les internautes;

  • le « business de la haine » qui permet de renforcer les frontières entre les groupes d’affinités et d’opinions afin qu’ils ne puissent pas s’échapper, mais uniquement s’affronter préjugés contre préjugés (préjugés minutieusement construits);

  • l’« addiction », un ensemble de tactiques pour capturer et garder l’attention le plus longtemps et le plus souvent possible. Explicitement, il s’agit d’assujettir les cerveaux à du conditionnement en jouant sur les hormones du plaisir aussi bien que sur les hormones de la colère et de la haine. L’ « intelligence artificielle » est utilisée pour raffiner les techniques psychologiques de conditionnement;

  • la « déresponsabilisation », l’information est disloquée de ses sources si bien que le diffuseur n’est plus responsable de ce qui est diffusé dans ses réseaux, la source reste difficilement identifiable;

  • le « découplage entre le virtuel et le réel », l’objectif avoué de Facebook devenu Méta vise à faire migrer le plus de gens possibles de la planète Terre à la planète Méta, sa planète virtuelle en construction.

Bref, en même temps que le système s’organise pour augmenter ses profits en couplant des algorithmes à des banques de données grâce à l’intelligence artificielle, des manipulateurs mal intentionnés s’ajoutent au système pour faire éclater la société en « tribus » isolées; transformer les faits en nuages d’opinions; engendrer des groupes fanatisés et déconnectés du réel au point de les rendre hautement dangereux. On peut parler alors d’une colonisation des cerveaux pour en faire des acteurs idéologiques propres à déstabiliser toute démocratie, alors que les dictatures, elles, gardent le contrôle d’internet pour empêcher la démocratie. Et cela peut se faire non seulement sur de très grandes distances, mais dans la totale ignorance des territoires, des pays, de l’espace, si bien qu’une organisation russe peut venir « jouer » sur le terrain américain en restant incognito.

Peinture de Michel Casavant

On sait comment les « valeurs fermées idéologiques » ont joué un rôle majeur dans les guerres civiles et les dernières guerres mondiales, aussi, on peut placer Facebook-Méta et ses semblables comme un système global d’autant dangereux qu’il apparaît incontrôlable.

Et pourtant, on pourrait dresser la bête.

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[1] Lire entre autres : Jean-Louis Missika et Henri Verdier, Le Business de la haine, Calmann Levy, 2022.

[2] La « bulle de filtres » désigne le filtrage de l’information qui parvient à l’internaute, la collecte de données à son propos et à son insu, et l’état d’isolement dans lequel il se fait piéger.