RENÉ DEROUIN 1964/65 Atelier de l’artiste
Ile du Moulin Leroux
Dents de scies, Val-David
crédit photo: Jeanne Molleur
L’ART PUBLIC UN ART NOUVEAU POUR LE MÉTRO DE MONTRÉAL 1966-67
Nous sommes en 1965-66 et nous vivons l’enthousiasme des grands projets du maire Jean Drapeau dont le côté visionnaire est à l’origine de la Place des Arts, de l’Exposition universelle de Terre des Hommes et de la construction du Métro de Montréal. Sous l’impulsion du Maire Drapeau, de Robert Lapalme et de l’artiste Jean-Paul Mousseau, les artistes sont enfin invités à participer en créant un art pour le public. Côté art, il est difficile d’être plus public que le Métro de Montréal.
Je vis à Varennes sur les bords du fleuve avec ma compagne Jeanne Molleur où je suis à réaliser ma première Suite Hiver dans la foulée d’un stage à Calgary avec le maître japonais Toshi Yoshida. Dans la solitude de mon atelier sur les bords du grand fleuve, je dessine l’hiver et sa lumière à la découverte de la nordicité. Un matin, je reçois un coup de téléphone de mon ami Frédéric Back qui travaillait à l’époque aux services graphiques de Radio-Canada, lors des débuts de la télévision. J’y avais également été engagé comme messager en 1953 et, ensuite, comme dessinateur graphique. J’y ai d’ailleurs réalisé mes premiers films d’animation tels que l’introduction de l’émission des Couche-Tard avec Jacques Normand et Roger Baulu, La valse à mille temps de Jacques Brel, un autre exemple d’art destiné au grand public.
Frédéric me demande de venir l’assister à la réalisation d’une murale sur la musique pour le Métro de la Place des Arts. Cette demande tombe bien, je suis dans une misère certaine, ne voulant vivre que de mon art et ne vendant que quelques gravures à Toronto et à Montréal, de peine et de misère. C’est alors mon seul métier pour vivre. Mais ce qui m’interpelle le plus dans la demande de mon ami Frédéric, c’est la relation directe entre l’art et le public. Cela fait déjà partie de ma culture, ma première formation en art s’étant déroulée de 1955 à 1957 au Mexique, pays de l’art public et des muralistes. J’y ai découvert cette relation art/public sur le magnifique campus de l’Université de Mexico qui innovait par ses murales et son architecture influencée par Le Corbusier, de quoi déniaiser un jeune Québécois de 19 ans en 1955 ! J’ai reçu ma première formation à l’École des beaux-arts La Esmeralda de Mexico où ont enseigné Diego Ribera et Frida Kahlo. Mes cours de murale étaient donnés par Pablo O’Higgins. Il nous disait : « il faut penser social, penser public et penser révolution ». Me voilà donc, dix ans après cette immersion, alors qu’on m’offre de travailler à un art social et public. Qui plus est, avec mon ami Frédéric.
Chaque jour, je roule de Varennes à la Côte Sainte-Catherine avec ma petite Volkswagen. Je me dirige vers l’atelier-garage de Frédéric Back où nous réalisons cette œuvre, jour après jour, une murale sur la musique, de ses grands compositeurs et de ses interprètes qui ont marqué le monde de la musique au Québec.
Je suis alors assistant d’artiste pour la seule fois de ma carrière. Je lui demande comment je peux l’aider et il me répond : « par la couleur ». Possédant un dessin narratif extraordinaire, il raconte l’histoire et dessine la murale avec ses personnages importants dans l’histoire de notre musique. Pendant ce temps, je m’occupe de la couleur, toujours sous sa direction. Les mois passent et ainsi apparaît une grande murale de verre, cet immense vitrail qui orne désormais le Métro de la Place des Arts, depuis 57 ans déjà.
Quand j’y passe aujourd’hui, je vois l’œuvre de Frédéric Back, de l’homme qui, en plantant des arbres, a récolté deux Oscars. Mon ami était philosophe et environnementaliste. Il était aussi un artiste engagé et un grand humaniste. Je suis fier de l’avoir assisté dans la réalisation de cette œuvre qui a été vue par des millions de personnes. Les gens ignorent aujourd’hui, pour la plupart, qui en est l’auteur. De toute façon, ce n’est pas important, c’était avant tout pour le public.
René Derouin
Artiste multidisciplinaire, Prix Paul Émile Borduas
Ordre Mexicain de l’aigle Aztèque
Fondateur des Jardins du précambrien de Val-David
De peur qu’un lecteur s’en prenne à la modestie de René Derouin pour s’être autoproclamé « grand créateur », voici ce que je lui ai écrit:
Vous devinerez, cher René, que le titre est de mon cru ; c’est un raccourci pour dire que c’est une murale célébrant la musique qui a uni votre travail à celui de Friedrich Back.
Bravo et pour l’oeuvre et pour la façon quasi-littéraire dont vous relatez cette rencontre au sommet de l’art!
Pierre J.
Il m’a répondu aussitôt:
Merci Pierre, Frédéric fut un grand ami et pour moi travailler avec Fred fut une grande culture de connaissance René Derouin