17 octobre 2023, souvenons-nous du 17 octobre 1849 – mort de Chopin
D’abord agacés par son omniprésence égocentrique, comme un cheveu sur la soupe, on est progressivement happés par l’humanité de Richard Desjardins, chercheur passionné et admirateur des pianistes qu’il a appelés à la rescousse : des Polonais respectueux tel Adam Wibrowski, des Français bavards peu inspirés, sauf Vinciane Esslinger qui éclaire si bien la relation ayant fait couler tant d’encre et fait verser à Chopin tant de larmes, celle avec George Sand[i]. Le documentaire nous instruit sur sa lutte socialiste et, épargnant les hypothèses sexuelles, restitue cette grande créatrice, contemporaine de Victor Hugo, qui dans son unicité de créatrice et de présence affective jalouse avec ses enfants Solange et Maurice « dont elle voulait être à la fois père et mère », a néanmoins su à Nohant procurer à Chopin des années supplémentaires à sa vie écourtée de tuberculeux mort à 39 ans.
Le documentaire télévisuel regorge de fulgurants moments de poésie avec entre autres
– la fougue du jeune Charles Richard-Hamelin, deuxième au concours 2015 de Varsovie;
– une interprétation fabuleuse par André Laplante du dernier mouvement qui suit la Marche funèbre de la 2e sonate (œuvre non identifiée dans les notes finales du film), éclairé par le plus beau commentaire poétique de Desjardins;
– une Marianne Trudel troublée par le spectre d’émotions suscitées par les changements harmoniques et par une main gauche rythmée en glissement chromatique, sous une droite libre : elle évoque l’inspiration directe à Antonio Carlos Jobim – Insensatez. C’est le moment de grâce où le courant passe si fort entre la pianiste et son mentor du moment que Richard s’installe au piano pour nous révéler quelques mesures de sa propre « sonate à Chopinsky » : le film y trouve soudain à cinq minutes de la fin sa raison d’être !
Le beau travail documenté alterne images de guerre entraînant la vie chopinienne de réfugié, et auparavant dans sa jeunesse familiale heureuse, la musique folklorique polonaise ayant inspiré ses mazurkas et ses valses. Bravo d’avoir montré ses partitions si raturées contrastant avec celles ordonnées de ses plus grands inspirateurs, Bach et Mozart.
La recherche politico-sociale de Desjardins s’attarde avec raison sur nos immigrés polonais perdant leur santé à la fonderie Horne de Rouyn-Noranda (premières minutes du film qui choquent les esthètes), sur l’artisan facteur de pianos Camille Pleyel et sur la révolution de 1848 espérée par Sand, car elle marquait la révolte salutaire des peuples contre les aristocrates (celle contre les magnats de charbon et de pétrole attend encore, au péril de la planète). Pour Chopin, Desjardins a la lucidité de nous parler de la fin des leçons individuelles lucratives données à des princesses désormais désargentées.
Desjardins aurait crié de joie s’il avait connu la défaite hier des conservateurs Kaczynski anti-immigrants et antiavortements, qui ont eu le front de déplorer la trahison du peuple (!), alors qu’un bon taux de participation à 73% les a délogés du pouvoir : belle image, à la télévision aussi, d’une militante de gauche se déclarant soulagée de rentrer en Europe et de sortir enfin du Moyen-Âge!
[i] Renée Joyal, professeure de droit à la retraite et auteure du livre Germaine de Staël et George Sand : les parcours singuliers de deux femmes d’exception (2016)
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