Par Pierre Jasmin, www.artistepourlapaix.org

Rafaël Payare et le triomphe de l’« el sistema » vénézuélien

CONCERT D’OUVERTURE DU FESTIVAL DE LANAUDIÈRE 2023 :
L’OSM ET PAYARE DANS LA NEUVIÈME DE BEETHOVEN
AMPHITHÉÂTRE FERNAND-LINDSAY

Une voisine de la rangée DD au centre s’exclame, en pleurs : « Je ne connais rien à la musique classique mais je viens de vivre une des plus incroyables émotions de ma vie! » Mon premier concert de piano à six ans fut d’interpréter une sonatine de Beethoven pour Serge Garant à la télévision de Radio-Canada, avant de consacrer ma vie à mieux comprendre Beethoven, entre autres par quatre années à suivre ses traces dans le quartier viennois où il vécut et voici que j’entends, à 74 ans, proche d’un champ de blé d’inde, l’une des plus grandes interprétations symphoniques de Beethoven live, avec celles des Klemperer, Abbado et Bernstein!!

Le 7 juillet au soir, le directeur artistique du Festival de Lanaudière, Renaud Loranger, musicologue et historien de l’art, a résumé en quelques mots très simples, à la Fernand Lindsay, le message de paix que la musique allait transmettre, à la manière de José Antonio Abreu qui a fondé el sistema pour enlever la musique des mains de l’élite la gardant prisonnière et corsetée, pour la transmettre, libre et démocratique, au peuple; c’était en 1975, trois ans avant la fondation du Festival et cinq ans avant la naissance de Rafaël Payare qui étudiera le cor puis la direction d’orchestre avec ce grand créateur, pour être ensuite remarqué et embauché comme assistant par les grands chefs Claudio Abbado, Daniel Barenboim et Lorin Maazel, d’où sa résidence principale à Berlin. Mais c’est aux musiciens de l’OSM qu’il attribue une sorte de coup de foudre artistique l’ayant amené à signer pour notre plus grand bonheur un contrat de directeur musical pour cinq années à Montréal, une ville déjà riche de la présence de son propre chef prodige globe-trotter international à l’Orchestre Métropolitain, Yannick Nézet-Séguin.

Pour le tour de force de préparer l’ensemble choral du Festival de Lanaudière, Loranger est allé chercher Simon Rivard, qui a bénéficié du mentorat du grand chef russe charismatique distingué par l’UNESCO Valery Gergiev : une flamboyante réussite, et pour l’exigeante et raffinée Lux Aeterna de György Ligeti ouvrant le concert, et pour le dernier mouvement de la Symphonie no 9 en mineur opus 125 de Ludwig van Beethoven, un exploit vu le tempo allegro assai adopté par le fougueux Payare qui dès les premiers applaudissements a jugé sa priorité d’aller chercher dans la salle son assistant un peu gêné, en jeans, pour le faire acclamer par la foule et le chœur en délire. Payare avait fait entrer les quatre solistes de la neuvième APRÈS le scherzo molto vivace scandé de percussions à la manière quasi-militaire de la Deutsche Kammerphilharmonie de Bremen, et surtout AVANT le troisième mouvement, afin qu’ils s’imprègnent de son caractère méditatif cantabile. Audacieuse aussi, sa décision de les reléguer derrière l’orchestre, pour qu’ils se fassent complices de Schiller avec le chœur derrière eux ou le surprennent, avec la voix timbrée du baryton-basse Gordon Bintner ou les exploits vocaux de la soprano Vera-Lotte Boecker aux cimes éclatantes à la Gundula Janowitz : Joie, belle étincelle des dieux. Alle Menschen werden Brüder!

À quelques pieds de la scène, j’observais, à l’affût du moindre signe de griserie personnelle, le jeune chef après ce fabuleux succès, mais pas une seconde d’autosatisfaction superficielle n’altérait son humble sourire de travailleur au service de la musique. Sa chironomie, qu’on dit spectaculaire, alors que rien ne la destine au spectacle, fait de chacun de ses gestes une quête d’assentiment de ses musiciens pour qu’ils fassent corps avec chaque phrase musicale et participent ainsi à l’entraînant cours de la musique : jamais je n’ai perçu une marche en avant aussi irrésistible, aussi auréolée d’une authentique énergie beethovénienne, depuis les grandes performances de Wilhelm Furtwängler avec qui il partage une conviction totale et un attachement spirituel à l’œuvre et à son message poétique, d’où son attention inouïe au chœur et à ses scansions germaniques : qu’ils s’enlacent, tous les êtres; un baiser au monde entier! Le poète Schiller parle ainsi. De même, le représentant de la Sécession Gustav Klimt choqua par son œuvre inspirée par l’Ode à la Joie, jugée pornographique par le public conservateur viennois:

L’énergie du jeune émule d’El sistema (ci-haut, un résultat de joie typique au Venezuela de Hugo Chavez) semblait tout à fait indiquée pour le principal commanditaire de la soirée :