Harold George Bellanfanti Jr., dit Harry Belafonte, est un chanteur, compositeur, acteur et militant des droits civiques américain, né le 1ᵉʳ mars 1927 à Harlem d’un père martiniquais et d’une mère jamaïcaine, dans la ville de New York, et mort le 25 avril 2023 dans la même ville d’une insuffisance cardiaque, sa femme Pamela à ses côtés.
Par Pierre Jasmin, (avec des remerciements à Maggy DONALDSON et Nicolas REVISE)
Sa mort vient d’être saluée par le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres et la directrice de l’Unicef, Catherine Russell. Bernie Sanders, a vu en « Harry Belafonte pas uniquement un grand artiste du divertissement, mais un dirigeant courageux dans la lutte contre le racisme et l’oppression des travailleurs ». L’artiste John Legend, a souligné mardi la dimension « subversive » et « révolutionnaire » des « messages » contenus dans les chansons de Belafonte.
Son action pour la lutte pour l’égalité raciale devient cruciale, en effet, pour le chanteur devenu acteur, qui se rapproche alors des combats politiques de la gauche et se lie avec l’icône Martin Luther King, qu’il soutient financièrement. Notre moteur de recherche étant encore non réactivé, il nous est difficile de retrouver toutes les infos à son sujet, y compris sa participation à un festival montréalais où nous l’avions rencontré ainsi qu’à un film américain récent BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan où il jouait le rôle d’un vieux militant anti-raciste relatant ses blessures au service de la cause : même Spike Lee suspendait son humour pour cette scène dramatique! Jusqu’à cette année 2018, il a poursuivi ses batailles, s’opposant à la guerre en Irak menée par le président républicain George W. Bush, qu’il a accusé à raison d’être un « terroriste ».
Il fut aussi un militant contre l’apartheid en Afrique du Sud, contre le sida et un admirateur du président vénézuélien Hugo Chavez. En 2014, il reçoit un Oscar d’honneur car « dès le début de sa carrière, il a choisi des projets mettant en lumière le racisme et les inégalités ». En décembre 2021, il s’était vu décerner le titre de chevalier de la Légion d’honneur des mains de l’ambassadeur de France aux Etats-Unis.
On écoutera ses chansons légendaires Matilda, Dey – Oe, Jamaica Farewell qui lui ont valu plusieurs disques d’or.
Et maintenant l’information qu’on ne retrouve sur aucune de ses biographies : il a fondé avec l’actrice suédoise Liv Ullmann l’association Performing Artists for Nuclear Disarmament qui a attiré l’attention d’Yvon Deschamps, Gilles Vigneault, Margie Gillis, Judi Richards, Raymond Lévesque, Georges Beaudereau et la première coordonnatrice du mouvement, Dolorès Duquette, en comptant sur Raôul Duguay, Gilles Marsolais et Jean-Louis Roux qui ont alors fondé les Artistes pour la Paix comme antenne québécoise de PAND, hélas dissouts deux ans plus tard.
Les Artistes pour la Paix sont donc doublement orphelins.
Belafonte, farewell!
Bel article d’Odile Tremblay dans Le Devoir
26 avril 2023 CHRONIQUE
Quand il chantait de sa voix douce le magnifique Day-O (The Banana Boat Song), chant de labeur incantatoire tiré d’un Mento folklorique de la Jamaïque, ou la mélodique ballade d’adieu Jamaica Farewell sous une guitare attristée, les gens dans les chaumières nord-américaines remontaient le son de leur radio. Ou de leur télé lorsqu’il était invité au Ed Sullivan Show. Harry Belafonte aura fait travailler beaucoup de musiciens noirs dans ses orchestres. Ses succès populaires, en touchant le grand public des années 1950 et 1960, son charme ravageur de jeune premier basané, son élégance de grand seigneur avaient démultiplié les effets de ses actions militantes, en frappant les esprits.
Harry Belafonte, chanteur, acteur et activiste, vient de s’éteindre, mais ce grand pacifiste américain aura eu de son vivant un courage de redresseur de torts digne des plus hauts éloges. Cet artiste-là a mené jusqu’à son dernier souffle ses engagements humanitaires en faveur des droits des Noirs, surtout. À 96 ans, quasi centenaire, il méritait de s’endormir en paix.
L’ancien confident de Martin Luther King — son mentor à jamais — considérait ce lien filial comme le plus fécond de sa vie. Dans les films d’archives, on voit le tout jeune homme à ses côtés participer aux grandes marches pour la défense des droits civiques. Harry Belafonte était présent à Washington lorsque King galvanisa, en 1963, les foules avec son discours : « I Have a dream ».
L’art fut son tremplin vers autre chose. Je l’avais rencontré en 2011 lors de son hommage au Festival international du film Black de Montréal, regardant avec des yeux admiratifs cette icône combative en traversée d’époques.
L’individualisme de nos temps présents semblait bien vain à celui qui fut, en 1987, l’âme du collectif We Are the World pour combattre la famine en Éthiopie, et un champion de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud. On l’entendait appeler ses frères artistes aux engagements passionnés : « Le hip-hop est une tribune de choix pour passer des messages et devrait être mieux utilisé comme outil de réflexion, estimait-il. Les artistes sont les gardiens du portail de la vérité. » À ses yeux, l’optimisme était la monture des plus belles chevauchées. Mariée à la célébrité, cette croyance en l’humanité lui permettait de déplacer les montagnes.
Sa trajectoire m’a toujours paru tissée de légende, comme celle d’un héros de conte en traversée d’obstacles, la rime au bec, de l’enfer de Dante à l’Éden des porteurs de lumière. Cet enfant d’Harlem né en 1927 aux racines métissées — père d’origine jamaïcaine et néerlandaise, mère afro-jamaïcaine — aura essuyé toutes les avanies réservées aux gens de couleur à New York comme ailleurs au pays, surtout dans le sud ségrégationniste. C’est bien beau d’avoir du talent pour l’art dramatique, encore faut-il se sentir bien accueilli. Il avait suivi des cours du grand metteur en scène allemand Erwin Piscator aux côtés de Marlon Brando et de Tony Curtis. Mais la ségrégation était si forte aux États-Unis que les portes se fermaient à sa vue. Tant de spectacles mixtes à Las Vegas, surtout avec les femmes sous interdit de leur toucher la main sur scène ou à l’écran, lui échappaient alors.
« Je ne pouvais être acteur qu’en harcelant le système, alors j’ai chanté, nous expliquait-il à Montréal. Puis, trouvant mon inspiration chez les chanteurs folks, j’ai compris que je pouvais également faire mes propres choix. »
Belafonte avait vécu cinq ans avec sa mère en Jamaïque au cours de sa jeunesse, bercé de rythmes antillais, avant de revenir courir les boîtes de jazz new-yorkais. Au cours des années 1950 et 1960, il allait devenir, sans l’avoir voulu, ce chanteur de charme, d’engagement et de style qui fit sa gloire. Son sens du rythme et de la mélodie en mélange de genres, son charisme incendiaire l’ont propulsé dans cette voie-là. En 1956, le disque Calypso, premier album vendu à plus d’un million d’exemplaires, fut un triomphe. Dans Carmen Jones, d’Otto Preminger, le public l’avait vu en 1954 tenir l’affiche de cette version de l’opéra de Bizet campée durant la Seconde Guerre mondiale, d’après un succès de Broadway. En 2018, Belafonte était de la distribution du BlacKkKlansman de Spike Lee, dernier rôle de sa vie. Acteur malgré tout, moins qu’à son goût, occupé ailleurs à améliorer le sort du monde.
L’ami de l’interprète et cinéaste Sidney Poitier, autre pionnier afro-américain des écrans, le compagnon de lutte de Nelson Mandela, le consultant culturel sous Kennedy dans le Corps de la paix, la vedette populaire de jadis venait de loin et ne l’a jamais oublié. Sa résilience et son engagement bouleversent dans notre XXIe siècle chamboulé. Si les jeunes ont besoin de héros, ils peuvent savoir dans son sillage vers qui se tourner.
5 COMMENTAIRES
Denise Geoffroy – Abonnée 26 avril 2023 01 h 25
Il était très bon lui…
Et dans tout, absolument tout.
André Joyal – Abonné 26 avril 2023 10 h 20
Il était, quand j’avais 13 ans, le concurrent d’Elvis.
Dans la classe de 7è année, chez les Frères des Écoles chrétiennes, nous étions partagés. Plus nombreux, les fans du King portaient fièrement leur «black jacket». Un tantinet plus intellos, je faisais partie des fans de calypso. Au restaurant du coin, je mettais des 5 cents dans le «juke box» croyant naïvement qu’en écoulant Day-O!, cela favoriserait la montée de Belafonte dans le palmarès du «Hit Parade» où régnait en maitre celui qui n’aura pas aussi bien vieilli que mon favori. RIP Harry!
Bernard Dupuis – Abonné 26 avril 2023 11 h 34
Celui qui a découvert Nana Mouskouri
Un fait important pour moi, mais qu’aucun reportage n’a mentionné depuis hier, c’est que Belafonte lança la carrière d’une des plus grandes chanteuses populaires du XXe siècle, Nana Mouskouri. Leur interprétation de la chanson « Try to remember » demeure pour moi une pièce d’anthologie.
Je connaissais déjà Belafonte en tant qu’artiste à la fin des années cinquante par le biais de la radio. Sa voix et ses airs de calypso étaient irrésistibles. Lorsque j’appris qu’il avait lancé, au début des années soixante, la carrière de madame Mouskouri, je me mis à écouter celle-ci avec ravissement. Je me suis vite rendu compte que celui-ci ne s’était pas trompé quant à l’ampleur du talent de Nana.
Je tenais à rappeler ce souvenir, car je craignais que ce fait de la carrière de Belafonte soit passé sous silence. Ce n’est peut-être pas un des faits plus importants de sa vie, mais pour moi ce le fut. Je ne suis pas un spécialiste de la vie de Belafonte et je ne savais pas qu’à l’époque il fut un militant important relativement aux droits civiques. Dans les pensionnats de l’époque, il était même difficile d’avoir accès à La Presse et au Devoir. C’est pourquoi notre politisation demeurait bien superficielle.
Dina Craissati – Abonnée 26 avril 2023 11 h 36
Un militant passionné pour la cause des enfants dans le monde
Harry Belafonte a été pendant 36 ans l’ambassadeur itinérant de l’UNICEF, remplaçant Danny Kaye en 1987 (https://www.unicef.fr/article/disparition-de-lambassadeur-de-lunicef-harry-belafonte/) – un rôle qu’il a mené avec autant de passion que sa carrière artistique.
Pierre Jasmin – Abonné 26 avril 2023 12 h 24
Souvenirs de la militance québécoise suscitée par son activisme anti-nucléaire avec Liv Ullmann
On lira avec passion http://www.artistespourlapaix.org/le-mil (voir ci-haut)
L’une des activités de PAND avant que la CIA et le FBI unissent leurs efforts pour saboter l’association pour la paix mondiale, fut un compte-rendu de mars 1984 selon lequel Belafonte avait récemment rendu visite à Moscou avec des membres de PAND, afin de préciser le rôle des artistes dans la « lutte pour la paix » (“struggle for peace”). Il regrettait « l’absence d’un protocole d’entente culturelle entre les États-unis et l’URSS », selon les termes de la CIA inquiète de constater que Belafonte parlait directement au peuple et non aux élites soviétiques, en leur rappelant la cause commune les unissant au peuple américain, « in this case, literal survival » ajoutait mystérieusement la CIA dans son rapport gouvernemental.
A March 1984 summary noted that Belafonte had recently visited Moscow with members of PAND. Belafonte stressed the role of artists in the “struggle for peace” and regretted the “absence of cultural agreement between USA and USSR” (CIA’s paraphrase). The CIA was concerned that Belafonte spoke directly to the people, not elites, of the USSR, reminding them that they have common cause with the people of the USA; in this case, literal survival.
T. J. Coles is director of the Plymouth Institute for Peace Research and the author of several books, including Voices for Peace (with Noam Chomsky and others) and Fire and Fury: How the US Isolates North Korea, Encircles China and Risks Nuclear War in Asia (both Clairview Books).