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josee_blanchette16 décembre 2022
Chronique
Josée Blanchette

fernand_dansereau

Le cinéaste Fernand Dansereau, 94 ans, n’a pas encore dit son dernier mot. Entre convocation et conscience, il en appelle à une redéfinition du vieil âge et à la mobilisation des aînés. Le naufrage des rides attendra. Photo: Jacques Nadeau Le Devoir

Le vieil âge, il l’a saisi à bras-le-corps par le rire, l’érotisme et l’espérance. De sa trilogie sur le vieillissement des années 2010, le cinéaste Fernand Dansereau a fait une quête personnelle, mais il a offert un legs important à une société qui détourne les yeux lâchement devant cet événement à la fois inéluctable et inattendu. Nous condamnons la vieillesse par peur, faute de compréhension, de temps et d’humilité.

Dans un texte récent, l’inspirant nonagénaire à la charpente décatie souligne que cette expérience d’apprendre à mourir est la plus incroyable et la plus fascinante de toute son existence. Venant d’un artiste qui médite et s’est intéressé au zen Soto durant 40 ans, il convient de marquer une pause. J’ai eu envie de l’écouter, une rencontre ponctuée de silences profonds, habités philosophiquement et spirituellement, dans son salon de Saint-Bruno.

Dansereau, issu de la génération silencieuse, mesure pourtant bien la portée des mots, lui qui en a fait son assise de création. Mais il faut savoir entendre les silences des patriarches ; ce sont leurs ultimes conseils.

À 94 ans, le corps tyrannise le vieil homme, un an de souffrances plurielles, la COVID récemment. « Je suis dans le dernier droit, il ne me reste plus grand temps. » Même pas peur. Les testaments de l’esprit se multiplient, s’y ajoutent sept enfants (le dernier a 29 ans), 12 petits-enfants, 4 arrières… et une oeuvre, un fil conducteur, une capacité à contourner les obstacles. Ou pas.

Le rire de mon arrière-petit-fils saluera ce soleil levant qui chasse mes angoisses. Ne reste qu’à dire merci au soir de la vie !
— Fernand Dansereau

Journaliste chargé des relations de travail au Devoir, il est mis à la porte en 1955 pour avoir refusé de franchirla ligne de piquetagedurant la grève des typographes, métier plombé par la technologie. Qu’à cela ne tienne, il devient le père de l’équipe française de l’ONF dans les années 1960, produisant les plus grands noms de l’époque (Carle, Brault, Lamothe, Jutra, etc.), tantôt réalisateur, tantôt directeur photo, scénariste de plusieurs séries québécoises, dont Les filles de Caleb et Le parc des Braves. Il s’est remis à la peinture il y a cinq ans, a publié un premier roman à 75 ans, s’estime chanceux de ne jamais avoir « travaillé ». « Le karma m’a convoqué à vivre des affaires. Ma vie est faite de convocations. »

Engagement et espérance

Le mot « convocation », Dansereau le chérit. « Il faut écouter l’appel du karma. C’est une morale exigeante. Il faut se rendre docile à cette convocation. » Même si la canne s’impose parfois, la vieillesse nous rend plus libres intérieurement tout en nous varlopant l’ego malgré les nombreux honneurs (notamment, le Prix du Gouverneur général cette année).

« La souffrance nous éduque, elle est inévitable », constate l’homme qui coiffera 95 ans en avril prochain tout en trouvant la mort nécessaire. « La vie charrie la mort ! »

Le cinéaste prépare un autre documentaire pour le printemps — le dernier ? —, un autre testament. Pour sa trilogie documentaire, il voulait tourner un film sur l’engagement politique indispensable des vieux : « Les personnes âgées doivent se réveiller, s’occuper de leurs affaires, rester mobilisées. Nous sommes dans une culture mortifère. Les RPA sont des prisons, on veut tout sécuriser. On ne peut priver les gens du risque de vivre. La vie est un risque. »

Il n’a pas réussià vendre cette idée et il est passé par l’érotisme pour continuer à défendre la peau des vieux. Le sexe passe mieux que l’indignation.

La vieillesse bien comprise est l’âge de l’espérance
— Victor Hugo

Dansereau est à l’âge où l’on multiplie les deuils, qui lui font moins mal du fait de leur accumulation. « L’artiste que j’aurai été se trouve convoqué à une dernière et très exigeante création : apprendre à tirer sa révérence avec grâce », écrit-il.

Malgré l’à vau-l’eau collectif et planétaire, Dansereau demeure dans l’espérance, frappé par le dévouement et la bonté des gens au naturel. « L’optimisme n’est pas une lecture qu’on fait de ce qui se passe. C’est une décision qu’on prend. Ce qui permet de se mettre en action. »

Optimistes ou non, ceux qu’on appelle pudiquement « les aînés » devront faire partie de la solution et être entendus, entre autres parce qu’ils composeront 25 % de la population en 2031 au Québec. À la fin de son documentaire Le vieil âge et le rire, Dansereau confie : « J’aurai surtout appris à m’incliner avec révérence devant l’immense mystère de la vie et des défis qu’elle nous propose. »

La conscience des heures qui s’égrènent

Fernand Dansereau aurait pu écrire cette phrase de Victor Hugo : « Il y a on ne sait quelle aurore dans une vieillesse épanouie. »

« Je comprends tellement de choses que je n’avais pas comprises. Ce n’est pas disable. Ça ferait scandale. Ça ne se négocie pas socialement », avance-t-il mystérieusement. Silence. Ce sera tout au chapitre des confessions. L’énergie louvoie aussi dans la noirceur. « On n’est pas des saints, une chance ! »

Vieillir, un acte de vie
— Fernand Dansereau

Tout au long de notre échange, le mot « conscience » émerge, s’entête, comme une lucidité aiguisée, à cheval entre une intelligence supérieure, l’Amour en lettres majuscules et une spiritualité pudique. « La conscience semble avoir une direction dans son évolution que les religions ont attribuée à Dieu, mais que les mécréants comme moi n’arrivent qu’à renoncer à élucider. » Il m’explique qu’elle a pris des dimensions chez l’hominidé telles que la morale, la science, la philosophie.

Et l’ascèse de la vieillesse permet, lorsqu’elle est vécue en pleine conscience, de descendre en soi, à la verticale, d’ajouter des couches de conscience.

Entre ce qu’il perçoit de la brutalité infinie de la vie et la poésie des répercussions du battement d’ailes du papillon, le vieil homme contemple le monde tout en intégrant une vérité difficile à exprimer en mots. C’est la grande solitude à laquelle est parfois condamné l’ancien, clairvoyant au pays des aveugles.

Avant de nous quitter, il m’offre le livre de ses peintures et poèmes Raconter les heures, qu’il vient de publier à compte d’auteur. Sous une toile naïve, Hier mon jardin pleurait, ces mots :

« Jamais nous n’aurons eu le temps,
de murmurer l’ineffable !
Reste à cultiver dans
un columbarium secret
un deuil sans avenir. »

JOBLOG | TRANSMETTRE «LES FILLES DE CALEB»

Récemment, mon B de 19 ans est venu rester chez moi quelques semaines et j’avais posé une ou deux conditions, dont celle-ci : « On regarde Les filles de Caleb ensemble. » Transmettre par le plaisir. J’en suis à mon 4e visionnement (à vie) et je ne m’en lasse pas. Mon fils a découvert les Noëls de mon enfance, la mâchoire à terre, médusé, grâce à l’épisode des fiançailles d’Ovila et Émilie chez ses parents. Le violon, le calleux « pis tords-y le corps Oscar, montres-y que t’es pas mort », le party et la joie. J’ai eu un pincement. Ces temps révolus appartiennent au folklore. Il a aussi mieux saisi la misère, les rudesses du climat, la simplicité, la survie, la vie des femmes, l’enfance de mes grands-parents.

Fernand Dansereau a scénarisé la série la plus populaire de la télévision québécoise avec des pointes de 3 millions de téléspectateurs en 1990. Le roman d’Arlette Cousture, la truculence des dialogues de Dansereau, la caméra amoureuse de Jean Beaudin, la musique inoubliable de Richard Grégoire, la chimie entre Marina et Roy, la magie s’est installée.

À propos de l’épisode du blackface effacé par Netflix, Dansereau se dit « achalé par le wokisme » : « Ce sont des modes qui se déploient, c’est normal, ce sont des explorations. On coupe à la source au lieu d’essayer de comprendre. » Sur Tou.tv Extra (en intégral mais pas gratuit, un scandale) et Netflix.

J’ai retrouvé ce document d’archives de Radio-Canada d’un Bernard Derome qui rassure les téléspectateurs lors de la guerre du Golfe en janvier 1991 : « Vous ne raterez rien des Filles de Caleb ! » bit.ly/3BANz6B

Aimé ce texte de Fernand Dansereau publié dans Le Devoir au début de la pandémie sur l’art de vieillir : « Et cela commence par rejeter — pour nous-mêmes — ce lieu commun qui présente toute vieillesse comme un naufrage, alors que c’est en réalité une convocation à un surplus d’être. » bit.ly/3WiHUd7. À lire !

Pour lire aussi son superbe testament philosophique, c’est ici : fdansereau.wixsite.com/fdansereau/post/testament-philosophique. Et écouter Le vieil âge et l’espérance (le dernier de la trilogie), sur Tou.tv : bit.ly/3Wc6lsC. Quelques films signés à l’ONF ici, dont le documentaire avec son cousin, l’écologiste Pierre Dansereau. bit.ly/3Fw0HuP

Retenu mes larmes en visionnant le court métrage Being 97 avec le philosophe Herbert Fingarette, décédé en 2018 à l’âge de 97 ans. Il a enseigné à UCLA et écrit de nombreux ouvrages, dont un sur la mort. À la question « Quel est le sens de tout cela ? », il répond « C’est une question sans issue. » Un documentaire de 17 minutes, très touchant, où il parle de la mort, de la vieillesse, de l’amour, de la contemplation qui le gagne et du regret d’être passé à côté du merveilleux qui nous entoure. Bref, « le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard » (Aragon). Un film pour tous les âges (en anglais). bit.ly/2TV4Mno

Écouté Sean Connery lire la chanson In my Life des Beatles. Cadeau, à visionner sur YouTube. bit.ly/3HSBPQT

Commentaires

Marie Nobert – Abonnée 16 décembre 2022
Qu’est-ce que la paix?

C’est la courte période entre deux guerres. Qu’est-ce que la vie ? C’est la courte période entre Éros et Thanatos. Carpe.

JHS Baril
Ps. Vivement la fin de cette année de…

Jacques Lamarche – Abonné 16 décembre 2022

Impressionnan! témoignage ! Aussi touchant qu’éclairant ! À 82 ans, j’ai appris beaucoup de ce grand homme! Tellement qu’il m’invite à recommencer ma vieillesse, à la refaire dans une autre direction, plus positive, plus active, plus productive ! Merci et à bientôt !

Guy Archambault – Abonné 16 décembre 2022

Fernand Dansereau

J’ai rencontré plusieurs fois Fernand Dansereau dans les années 70. Je ne l’ai pas vraiment connu mais nous nous sommes rencontrés assez souvent pour être en mesure de le reconnaitre par la suite dans ce qu’il était essentiellement, authentique et à l’écoute. Il a vécu sa vie comme chacun vit sa vie, toujours inexplicable, et à la recherche de la créativité. Sa vie ne pouvait être que sentie et accompagnée comme lui-même a toujours senti la vie de ceux qu’il rencontrait. Comme on regarde les fleurs. Comme on les sent l’espace d’un instant. À chaque étape de leur vie. De création en création. Toujours accueillant en restant intimement et silencieusement lucide.

Pierre Jasmin – Abonné 16 décembre 2022

Un homme essentiellement de paix, comme son frère Pierre

Merci, J B, de partager vos réflexions sur la vieillesse alors que je reçois le dernier numéro d’ AGIR, revue du 3e âge qui publie un court article sur les Artistes pour la Paix où Pierre D. militait. Vos références youtube sont précieuses, en particulier sur les FILLES DE CALEB, ranimant mon souvenir d’avoir partagé un repas à Sainte-Adèle avec Arlette Cousture, créatrice de ce chef d’oeuvre féministe qui allait changer le Québec, ainsi qu’avec Jean-Pierre Ferland et notre hôte Pierre Péladeau (dont nous commémorerons le 25e anniversaire de la mort dans quelques jours).

Claude Gélinas – Abonné 16 décembre 2022

À Méditer !

Que de paroles de ce sage à méditer puisque la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Combien de vie faudrait-il pour apprendre à mieux vivre ?

Alain Gaumond – Abonné 16 décembre 2022

C’est de l’entrainement mental…

Merci beaucoup de nous partager ces propos de Fernand Dansereau. J’ai 64 ans, à la « retraite » dans un an (en fait, pour moi, je vois cela comme un changement de carrière…) et je pratique la Pleine conscience…et ces mots me venaient en tête à la lecture de votre texte :  » Une grande gratitude que j’ai, c’est d’être de moins en moins esclave de mon conditionnement, d’être plus conscient de quoi est fait mon présent. Je ne suis pas complètement libre de ces influences mais j’en suis un peu plus conscient, et j’y travaille un peu chaque jour. C’est de l’entrainement mental comme disait le Dalaï Lama. Même si c’est dur d’y faire face, c’est pour moi la meilleure place pour « être ». J’aurai dû commencer ça à 25 ans…mais bon, c’est OK ! » Merci pour votre texte et toutes les ressources que vous nous offrez !

Réjean Martin – Abonné 16 décembre 2022

le mot du Romain généreux ?

quel est le mot (légendaire!) du Romain généreux à l’agonie ? «Ce qui me reste, c’est ce que j’ai donné !» Voilà ce qui m’anime! Merci Josée Blanchette pour ce papier d’aujourd’hui et pour tous ceux des années passées et à venir.

Alain Laramée – Abonné 16 décembre 2022

Merci pour cet article et la référence au vidéo également.