La liberté est capable de mettre du jeu et de l’élasticité dans la chaîne causale ou elle n’existe pas. La théorie de la liberté peut se développer dans une dialectique du relatif et du souple vis-à-vis du définitif et du fixe en fonction de finalités qui se démultiplient et reculent constamment avec l’horizon. Elle suppose une conscience génératrice du temps qui va à contretemps. Les valeurs arrivent dans des rêves de monde meilleur qui doivent pourtant descendre dans le temps qui s’écoule des causes vers les effets. Le désirable n’est jamais une chose, bien qu’il ait besoin du concours des choses pour changer les choses.

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On doit faire ici une nuance qu’il n’était pas possible de faire avant 1920 (avant les découvertes de Ilya Prigogine). Le temps causal de la nature n’est pas absolument déterministe, au contraire, il est chargé de créativité et tend vers des finalités. Il contient donc déjà une dimension temporelle qui va du futur (les finalités) vers le passé. Par exemple, il tend vers le maximum de différentiation (ne jamais reproduire exactement la même chose), de complexité (ajouter de l’information lorsque c’est possible), d’équilibre et d’harmonie dans le combat pour la durée.

Ce temps créatif lutte lui aussi, contre le pur déterminisme et contre l’entropie (l’usure), il introduit du jeu dans la chaîne causale, des marges de liberté et même certaines finalités qui empêchent le temps causal de s’enfermer dans des répétitions sans fin.

Cependant, la créativité immanente dans la nature n’est pas inconstante et changeante comme la nôtre, elle est extraordinairement cohérente et s’inscrit parfaitement dans le temps causal pour le faire « évoluer ». Évoluer non pas vers un but, mais au contraire vers une ouverture des finalités qui empêche de prévoir le futur au-delà d’un horizon (appelé horizon de Lyapunov), afin, semble-t-il, qu’il y ait constamment des surprises. Il agit comme un romancier qui ne voudrait pas qu’on s’ennuie.

Aussi, notre créativité incohérente et mal ajustée fait face non seulement aux chaînes causales et entropiques, mais aussi à l’écologie créative et évolutive. Oui, nous voulons faire entrer du désirable dans la nature, mais il y en a déjà. Cependant, le désirable qui y est déjà ne nous suffit pas, nous voulons ajouter « nos » valeurs (par exemple : la diminution des souffrances et des violences, l’augmentation des facilités et du confort…), mais notre liberté n’y arrivera pas si nos valeurs ne sont pas « acceptées » par l’évolution naturelle. On doit composer avec la créativité inhérente à la nature. On doit coopérer avec elle et non pas imaginer que nous agissons sur une mécanique neutre en elle-même.

C’est tout le défi de l’écologie, un changement radical de mentalité, car il faut cesser de se voir au-dessus de la nature pour la dominer, mais en-dedans de son mystère (qui nous dépasse presque infiniment) pour y développer nos nids de valeurs sans nuire à son évolution globale.