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Discours de Richard Desjardins, livré le vendredi 23 septembre 2022 à Rouyn-Noranda.

Quand j’étais petit, à quelques rues d’ici, de ma petite chambre, je voyais les cheminées. Je pensais que c’étaient elles qui faisaient les nuages.

Aussi, on se patentait des radeaux sur la slam de la mine sur les étangs d’eau mauve, turquoise. Psychédélique, merveilleux. Le mot environnement n’existait même pas.

La boucane de la mine nous étouffait de temps en temps mais c’était le prix à payer, qu’on nous disait. Même les enfants payaient. Et paient toujours, d’ailleurs.

Années 60. René Lévesque, alors ministre des richesses naturelles est venu dire à Rouyn- Noranda, en pointant la Noranda et ses Copper Kings : Eux autres, on va les civiliser. C’pas encore fait.

Années 70. J’étais là, au Chili. Un homme de gauche venait d’été élu président du pays : Salvador Allende. Qui nationalise le cuivre du pays dont des mines appartenant à Noranda. En 73, coup d’état : le général Augusto Pinochet se saisit du pouvoir, aidé par l’aviation américaine qui bombarde la Moneda, le siège du parlement à Santiago. Stupéfaction mondiale.

Bilan de la répression d’Augusto Pinochet qui s’en suivit contre les personnes de gauche : 3000 tués, 40 000 torturés, des centaines de milliers d’exilés [Pablo Neruda tué].

La première compagnie occidentale à contacter le dictateur après son coup d’état : Noranda Mines.

Civilisée ?

Années 80. Le ministère de l’Environnement venait d’être créé. Il publie une étude écologique sur la région de Rouyn-Noranda. L’état du territoire. Les problèmes qu’on rencontre aujourd’hui sont décrits dans ce rapport qui semble avoir été oublié depuis 43 ans. L’arsenic n’a pas été inventé hier. Il a toujours fait corps avec le minerai de cuivre. Quand on le chauffe, il se volatilise. Jusque dans nos poumons.

Avec les réalisateurs Daniel Corvec et Robert Monderie , de Rouyn, j’ai travaillé à cette époque à la confection du documentaire Noranda. Je faisais de la recherche. Il me prend l’idée aller au siège social de la mine Noranda, à Toronto, histoire de voir ce qu’elle pense de nous. Je suis reçu par une personne des Public Relations. On parlait de l’importance de la compagnie à travers le Canada et dans le monde. 70 000 employés. À un moment donné, j’aborde la question de la fonderie Horne et de ses problèmes. On me répond : « Oui, c’est sûr, c’est une vieille usine mais polyvalente. On pourrait pas l’imaginer en banlieue de Toronto, trop peuplée, tandis que là, on parle de 30,000 personnes ».

Civilisée ?

Le film gravite autour d’une enquête menée par des chercheurs d’une école de médecine industrielle américaine, le Mount Sinaï School of Medecine de New-York, venue ici examiner les 500 travailleurs de la fonderie, alors en grève. Ils ont à peu près tous participé. La CSN avait organisé cette clinique impressionnante, dans le temps qu’elle s’occupait aussi de la société. À prime abord, quand le directeur de l’équipe médicale a vu que la ville était pratiquement dans la cour de la fonderie, il s’est exclamé: Oh my God ! Elle aurait dû être à 15-20 kilomètres de là. Cinq cents tests différents ont été faits sur chacun des travailleurs. Les médecins venaient ici analyser, pour la première fois, les effets combinés des métaux lourds sur la santé. Chose qu’ils ne pouvaient pas faire aux Etats-Unis parce que là, les contaminants viennent de partout – une soupe chimique – difficile de déterminer leur provenance. Alors qu’ici, ces contaminants ne peuvent provenir que d’une seule source, ponctuelle : la fonderie. Y ont pu établir que la présence simultanée de l’anhydride sulfureux – la boucane – et de l’arsenic pouvait occasionner le cancer du poumon. Ils en ont trouvé cinq sur place. Que le médecin de la compagnie aurait pu facilement détecter. En recoupant différentes études, le film a aussi montré que la présence des métaux lourds (arsenic, plomb, cadmium) dans le corps humain augmentait à partir d’Évain jusqu’à la barrière de la fonderie et de la barrière jusqu’à son réacteur, ça augmentait toujours.

Le film a aussi rappelé, by the way, que le gouvernement avait passé une loi en 1926 – donc au démarrage du smelter–. Promulguée au bénéfice de la Noranda, la loi disait ceci : « Nul propriétaire, locataire, occupant de terrain dans le canton de Rouyn ne peut réclamer de dommages causés par les gaz et fumées délétères (nuisibles) produits au court des opérations d’une usine de fonte. »

On dirait qu’on vit toujours sous cette même loi.

Le film, une fois achevé, a été proposé au Festival de Cinéma International d’Abitibi qui n’a pas voulu l’inclure dans sa programmation officielle. Parce que cette année-là, il venait pour la première fois de recevoir une subvention de la Noranda. Trois mille piasses.

Oui, il peut y avoir une ingérence minière dans les festivals.

On a loué le Théâtre du Cuivre pour passer le film. Aux portes, des agents de sécurité de la mine distribuaient des tracts contre le film. Comme des bons anarchistes. Juste avant la projection, la police de la ville arrive dans le lobby. Elle s’en venait chercher un des réalisateurs du film pour un ticket de parking qu’il n’avait pas encore payé. On demande à police :

– Pourquoi là, pourquoi icitte !
– On a reçu un coup de téléphone au poste.
– Ah ! de qui ? D’la mine ?
– Ah.

Toujours aussi civilisée ?

1989. Pour récupérer le soufre dans la boucane, énorme, la compagnie s’est résolue à construire un plan d’acide sulfurique à condition que nos gouvernements lui prêtent les deux tiers de ce que ça coûterait. 80 millions. On leur a prêté. Le prêt n’a jamais été remboursé.

Civilisée ?

Années 90. Le ministère de la faune a commencé à nous alerter à chaque automne de ne pas consommer le foie des orignaux abattus dans un rayon de 40 kilomètres de l’usine. À cause du cadmium répandu sur le territoire. « Pis nous autres notre foie » qu’on s’est dit ? « Hein ? Une chance qu’on n’est pas des cannibales. Y aurait pus grand monde en ville ».

Connaissez-vous Mark Rich? L’homme aux cinq passeports différents, qui été condamné pour la plus grande fraude fiscale de l’histoire américaine et pour laquelle il risquait 325 ans de prison. Le FBI était à ses trousses et a tenté de l’enlever à quatre reprises. Il s’est réfugié en Suisse. C’est lui qui a fondé Glencore. Y est mort en 2013.

Connaissez-vous Gary Nagel ? Il a été formé par Mark Rich. C’est l’actuel patron de Glencore qui, en passant n’est pas une compagnie minière mais une firme de courtage en ressources naturelles, blé, pétrole, etc…Elle achète et revend, achète encore et revend toujours. Ces dernières années la firme a été poursuivie dans au moins dix pays pour fraude et corruption. Et plaide régulièrement coupable. Des bandits et c’est pas rien qu’une figure de style.

Civilisés ?

Dans son budget de cette année, Glencore a prévu un milliard et demi en frais d’avocat pour ses procès de corruption en cours.

Tout ça pour dire que :

L’Action boréale réclame la suspension immédiate des opérations à la fonderie Honte jusqu’à ce que cette usine à tuer prouve qu’elle opèrera en respectant la norme québécoise de 3 ng/d’arsenic par mètre cube d’air, norme déjà issue d’un compromis parce que l’arsenic, comme le plomb n’ont pas de seuil acceptable. Aussi, durant la suspension des opérations, Glencore continuerait de verser comme d’habitude les salaires aux employés de la fonderie. Ça ne devrait pas causer trop de problème pour elle, la compagnie vaut 101 milliards de dollars.

Maintenant, connaissez-vous le duo Legault-Fitzgibbon? Qui s’est dit prêt à financer Glencore à même les fonds publics ? Pas une cenne pour eux, pas une.

Opinion personnelle : Votez-pas pour la CAQ. Ni à Rouyn, ni à Val-d’Or ni nulle part. On va avoir des problèmes avec ce parti s’il est réélu.

Nous aurons des corbeilles pleines
De roses noires pour tuer la haine
Des territoires coulés dans nos veines
Et des amours qui valent la peine
Nous aurons tout ce qui nous manque
Des feux d’argent aux portes des banques
Des abattoirs de millionnaires
Des réservoirs d’années lumières
Et s’il n’y a pas de lune
Nous en ferons une

Merci.

Richard Desjardins, toujours aussi mordant et pertinent !

C’est hélas LE SEUL artiste en 33 ans à avoir refusé le prix d’Artiste pour la Paix de l’Année qu’on avait voulu lui offrir il y a une vingtaine d’années, « parce qu’il ne nous connaissait pas » (Pierre Jasmin lui avait offert de le rencontrer en vain).