Par les Artistes pour la Paix,
éclairés par Françoise Feugas, Jean Genet et Seth Anziska

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Il est des anniversaires plus pénibles que d’autres à commémorer : il y a 40 ans, le massacre de Sabra et Chatila, outre son caractère odieux et révoltant – un camp de réfugiés palestiniens livré aux viols et aux massacres aux mains de phalanges fascistes – suscite des analyses passionnantes chez ORIENT XXI, auxquelles les Artistes pour la Paix ont accès grâce à notre ami Ismaël Cordeiro que nous remercions.

Voici, avec souci d’objectivité, notre calendrier des événements concernant le massacre :

6 juin 1982 : Menahem Begin, sous le vocable opération Paix en Galilée (!), entreprend l’invasion du Liban par l’armée israélienne. Il dit vouloir détruire les bases des organisations palestiniennes installées dans le sud du Liban, bases depuis lesquelles elles envoient des roquettes et des commandos armés dans le nord d’Israël.

19 août : l’Assemblée générale de l’ONU vote trois résolutions très sévères envers Israël, auxquelles les États-Unis apportent leur véto habituel.

23 août : Béchir Gemayel, chef des phalanges chrétiennes d’inspiration fasciste, est élu président de la République du Liban par un Parlement réuni sous férule israélienne.

30 août : le leader palestinien Yasser Arafat est forcé de quitter le Liban avec ses 14 500 soldats accueillis par divers pays arabes, dont une minorité importante par la Syrie qui occupe la Bekaa dans le nord du Liban.

1er septembre : Ronald Reagan prononce le seul discours d’importance de ses deux mandats de présidence consacré au conflit israélo-palestinien. Il y expose son « plan » pour l’avenir. Sans envisager un État palestinien, il soutient une évacuation israélienne des territoires qu’elle occupe en Cisjordanie et à Gaza. Son objectif consiste à « réconcilier les enjeux sécuritaires légitimes d’Israël avec les droits légitimes des Palestiniens ». Il propose donc l’ouverture de négociations sur une période de transition durant laquelle les États-Unis exigent d’Israël « un gel immédiat de toute colonisation ». Enfin, le président américain spécifie que « les Palestiniens doivent jouer un rôle dirigeant dans la détermination de leur propre avenir ».

3 septembre : un sondage publié par le Jérusalem Post révèle que 51% des Israéliens, représentés surtout par l’opposition travailliste dirigée par Shimon Péres, sont favorables à des concessions territoriales en contrepartie d’un traité de paix avec la Jordanie (avant l’invasion du Liban, la proportion atteignait à peine 38%). Rappelons que David Ben Gourion, père d’Israël, affirmait: « Il ne faut pas que des Arabes dominent des Juifs, ni l’inverse. » Le chef du Likud et du gouvernement, Menahem Begin, réagit avec fureur. Dans une adresse à Reagan, après avoir évoqué les droits bibliques des juifs sur les territoires palestiniens, il proclame que la voie ouverte par le président américain mène inéluctablement à l’instauration d’un État palestinien, inadmissible pour Israël : « En un instant, vous aurez alors une base soviétique au cœur du Proche-Orient. »

14 septembre et avant : lors d’une rencontre avec le président Béchir Gemayel, Begin lui assène que « dès lors qu’Israël lui a fait remporter la présidence et a débarrassé son pays des combattants de l’OLP, il était temps pour lui de signer un accord de paix avec Israël ». Gemayel dont la nouvelle volonté affichée de démocratie et de réconciliation se sent brusquée n’aura pas le temps de réfléchir à la proposition de Begin, puisque le 14 septembre, il est assassiné par une bombe placée dans son quartier général.

15 septembre : contrevenant au cessez-le-feu et à l’exigence américaine, l’armée israélienne réinvestit Beyrouth. Une « mesure de précaution », explique Begin aux Américains. Le soir, Tsahal encercle Sabra et Chatila.

16 au 18 septembre : tandis que les Israéliens les laissent traverser leurs lignes et leur offrent un soutien logistique, éclairant même les camps la nuit, les phalangistes chrétiens, rendus fous par l’assassinat de leur chef, entrent dans les deux camps palestiniens perpétrer un carnage auprès d’une population civile palestinienne laissée sans défense : entre 800 et 2 000 personnes assassinées ou disparues, des femmes violées, des enfants et des vieillards abattus, des hommes emmenés vers des destinations sans retour.

19 septembre : alors que les bulldozers de l’armée libanaise sont en train de creuser en toute hâte des charniers, avant que les cadavres n’aient été enterrés, un artiste-poète français, Jean Genet, en compagnie de Leila Shahid [1] et de deux photographes américains, durant quatre heures sous un soleil accablant, arpente les ruelles. « J’enjambai les morts comme on franchit des gouffres », écrit-il. Il s’enfermera vingt-quatre heures dans sa chambre, reprend l’avion et rédige à Paris l’article Quatre heures à Chatila qui paraîtra le 1er janvier 1983 dans la Revue d’études palestiniennes, alors que la commission Kahane constituée en septembre 1982 pour enquêter sur les massacres a déjà rendu son rapport concluant à la non-responsabilité directe des Israéliens. Près de quarante ans avant l’article de Ronen Bergman paru le 22 juin 2022 dans le journal israélien Yediot Aharonot, qui confirme la coordination très étroite entre Israéliens et phalangistes dans l’objectif commun d’en finir avec les Palestiniens, Genet avait déclaré :

Nous accusons Israël des massacres de Chatila et de Sabra. Qu’on ne mette pas ces crimes sur le seul dos de leurs supplétifs. Israël est coupable d’avoir fait entrer dans les camps deux compagnies de Kataëb, de leur avoir donné des ordres, de les avoir encouragés durant trois jours et trois nuits, de leur avoir apporté à boire et à manger, d’avoir éclairé les camps la nuit.

Grâce en partie à Seth Anziska [2], ORIENT XXI peut affirmer aujourd’hui que non seulement les généraux israéliens et le Mossad apparaissaient clairement informés des intentions des phalangistes, il est évident d’après le compte-rendu de sa discussion avec l’envoyé spécial américain Draper, que le ministre des Affaires étrangères Ytzhak Shamir était très conscient de ce qui se passait dans les camps palestiniens durant les massacres, contrairement à ce que la Commission Kahane avait affirmé.


[1] Diplomate palestinienne, c’est à sa demande que le Tribunal Russell sur la Palestine sera créé en mars 2009 par Ken Coates, Président de la Fondation Bertrand Russell pour la paix et Nurit Peled, Israélienne, Prix Sakharov pour la liberté d’expression 2001.

[2] Enseignant-chercheur américain à l’University College de Londres, auteur de Preventing Palestine : A Political History From Camp David to Oslo Princeton Press, une étude sur la diplomatie américaine au Proche-Orient sur la période qui va du premier accord de Camp David (1977) aux accords d’Oslo (1993).


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