Nous reprenons un texte de Marie Fradette paru dans Le Devoir.
Le 20 août prochain, dans un désir de partage, Saint-Venant-de-Paquette, petit village de 98 habitants, ouvre grand les bras pour accueillir une fête des mots, un rassemblement gratuit qui fera place à 12 heures continues de poésie. Sous forme de chansons, karaokés, lectures, conférences et rencontres avec poètes et poétesses, ce petit bout de campagne des Cantons-de-l’Est brillera ainsi sous le ciel étoilé.Si la Grande Nuit de la poésie y existe depuis 2016 (David Goudreault en prend alors les rênes), l’importance accordée à la musique des mots fait partie de l’ADN de la communauté de Saint-Venant-de-Paquette — et de Richard Séguin. « Ma conjointe et moi, ça fait 50 ans qu’on est là […] et, tranquillement, au fil des ans, le village a été reconnu comme village dévitalisé. […] À ce moment-là, le maire a convoqué tous les citoyens et a demandé si on avait des idées », confie l’artiste au téléphone.
L’auteur-compositeur-interprète a alors proposé de « mettre des mots dans le paysage de Saint-Venant ». Ce que le maire ne comprenait pas trop au début, mais a accepté en soulignant qu’il « n’avait rien à perdre ».
Est alors né le premier site du Sentier poétique, dédié à Alfred DesRochers, grâce à l’aide d’une petite équipe composée notamment des gens de l’école d’agriculture de Saint-Hyacinthe, de Rachel Lussier, qui était journaliste à Sherbrooke, de Julie Shaffer, ainsi que d’Hercule Gaboury (décédé cette année), qui était professeur au collège de Sherbrooke et qui a composé les biographies que l’on trouve sur plusieurs plaques du sentier.
« Et au fil des années, on a créé des soirées de poésie qui attiraient 200-225 personnes sous un chapiteau. Mais c’étaient des soirées », explique l’artiste. Jusqu’à l’arrivée en 2016 de David Goudreault, qui accepte de prendre le flambeau tout en proposant de créer une nuit complète.
« C’est là que David a surpris tout le monde. À la première nuit, on ne savait pas à quoi s’attendre. Il y avait une soixantaine de poètes et poétesses. Pour notre petit village, c’était un gros défi de recevoir tout ce monde-là. […] Et puis, entre 700 et 800 personnes sont arrivées. De toutes les générations. C’était bien étonnant ! Des jeunes qui arrivaient avec leur autobus converti quasiment en maison, des personnes qui ont vécu la nuit de la poésie dans les années 1970, qui dormaient dans leur char. Et les cultivateurs ont permis d’installer des tentes dans des endroits où ils avaient eu le temps de faire les foins. Et là, c’est une euphorie qui s’est emparée du village, et on était vraiment ravis », poursuit Richard Séguin avec enthousiasme.
Habitués et nouveaux venus
Cette année, la grande fête recevra plus de 40 poètes et poétesses venus célébrer et partager leur voix, en plus d’une douzaine de musiciens pour les accompagner. La diversité fait d’ailleurs partie de la richesse de l’événement, grâce notamment à Goudreault, qui réussit à nous faire découvrir une vingtaine de poètes et poétesses moins connus — un tour de force, selon Richard Séguin.
En plus des nouveaux noms, la Grande Nuit de la poésie a ses habitués. Normand Baillargeon, avec qui« on a l’impression de voyager dans le temps ». « Il va parler de la Grèce antique, de sa grande admiration pour Prévert. » Hélène Dorion, « lumineuse comme tout ». Pierre Nepveu. Queen Ka, « une boule d’énergie ». Jean Désy, « qui nous arrive avec une vision tellement humaine et son amour pour la nordicité », raconte l’auteur-compositeur-interprète.
Parmi les nouveaux venus, Geneviève Rioux, poétesse de la survivance, rescapée des horreurs, victime d’une tentative d’agression sexuelle doublée d’une tentative de meurtre chez elle en pleine nuit en avril 2018 et doctorante en psychologie.
Entourée d’Alexandre Ethier, Francis Brunet et Olivier Labossière, musiciens du groupe Forestare — qui sera présent pour accompagner d’autres prosateurs — et de la danseuse contemporaine Josiane Goneau, elle partagera les mots de son recueil Survivaces (Mémoire d’encrier). Son rapport à la nuit, marqué par l’horreur et la solitude, s’inscrit dans une symbolique tournée ici vers la lumière.
« En fait, je pense que ce qui se démarque le plus, c’est que dans la nuit du 20 août prochain, je vais être entourée, alors que je me trouvais dans des situations plutôt vulnérables et seule au moment des agressions. Il y a un rapport au soutien. Ce qui a été vécu va pouvoir être dit et entendu par le soutien des gens qui vont être présents. C’est salvateur », confie-t-elle au Devoir.
Le pouvoir poétique
La Grande Nuit de la poésie est une expérience collective, une communion, en quelque sorte, pendant laquelle « on célèbre des territoires sacrés », dira Richard Séguin. Parce que la poésie permet d’aller dans des endroits insoupçonnés, de raconter le réel et de le sublimer.
Pour Geneviève Rioux, ce partage des mots devient en quelque sorte un ultime outil de justice, une façon de se réparer en se racontant. « La poésie permet de toucher aux émotions, et le faire devant un public a quelque chose de très chaleureux, d’humain, que le système de justice n’a pas […] Et au-delà de ce que ça m’apporte à moi, j’espère vraiment que ça puisse inspirer des gens à s’exprimer d’une façon ou d’une autre. »
La Grande Nuit de la poésie ouvre la voie aux possibles, insiste de son côté l’auteur-compositeur-interprète.
« En tout cas, ici, on la rend accessible, la poésie. De bien des façons et de beaucoup de regards différents. […] Ce n’est pas important de tout comprendre dans le discours poétique […] Des fois, tu vas voyager avec un mot. J’aime bien Bachelard quand il disait qu’”un mot peut être un abri, un refuge”. C’est ça, des fois : il suffit d’un mot pour t’aider à passer à travers une épreuve ou encore t’émerveiller. »
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