Revue de presse
17 mars 2022
La guerre met à mal le désarmement nucléaire
L’armée russe bafoue les mémorandums de Budapest par lesquels Kiev a abandonné l’arme atomique en 1994.
Par Gaël De Santis
La guerre en Ukraine est une chance (sic) pour la prolifération de l’arme atomique en Europe. En effet, comme le soutien aux rebelles séparatistes du Donbass et l’annexion de la Crimée, elle met à mal les mémorandums de Budapest qui, le 5 décembre 1994, firent que la Biélorussie, l’Ukraine et la république d’Asie centrale qu’est le Kazakhstan renoncèrent à l’arsenal nucléaire dont ils avaient hérité de l’Union soviétique, en application du traité de non-prolifération signé deux ans auparavant.
En vertu de ces mémorandums, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis « réaffirment leur obligation de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de l’Ukraine, et qu’aucune de leurs armes ne soit utilisée contre l’Ukraine, si ce n’est en légitime défense ou d’une autre manière conforme aux dispositions de la charte des Nations unies ». En cas d’agression extérieure, les trois États en question étaient censés requérir « immédiatement une action du Conseil de sécurité » de l’ONU. Avec la guerre de Vladimir Poutine, ce texte, l’un des seuls du droit international luttant contre la prolifération nucléaire, est caduc.
Il l’est aussi parce que, le 27 février, trois jours après le début de l’invasion russe, un référendum a été organisé dans le pays de l’autocrate et partenaire de Poutine, Loukatchenko, pour supprimer le statut « non nucléaire » de la Constitution ; 65,2 % des Biélorusses se seraient prononcés en ce sens, selon les résultats annoncés par la commission électorale centrale, cités par des agences de presse russes. Moscou pourra donc déployer ses ogives chez son allié de l’Organisation du traité de sécurité collective, menaçant potentiellement les voisins de l’UE.
Car l’architecture de sécurité en Europe s’est désagrégée. Elle ne tient plus qu’à un fil, le traité New Start, renouvelé en février 2021 – à quelques jours de son expiration – jusqu’en 2026. Il limite à 1 550 le nombre d’ogives nucléaires sur lesquelles peuvent compter la Russie et les États-Unis. Mais, depuis 2019, le traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire est caduc du fait de la sortie des États-Unis, puis de la Russie. Il prohibait l’installation de missiles de courte et moyenne portée ( soit entre 500 et 5 500 kilomètres ). Chacun est libre de menacer ses voisins. Le choix des Biélorusses peut avoir des conséquences dangereuses. Il existe une crainte d’« un rejet généralisé du traité de non-prolifération par un effet d’entraînement car, devant l’invasion ukrainienne, certains États européens (…) pourraient déduire de ces circonstances la nécessité de se doter d’une dissuasion nucléaire », dit Benoît Grémare, dans une note pour l’Institut d’études de stratégie et de défense. Ces pays pourraient demander d’accueillir des armes nucléaires sur leur territoire, l’Otan étant, comme le dit Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense, une « alliance nucléaire ».