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Guy Fournier

Très heureux de son article rempli de l’expérience considérable de l’amoureux de cinéma qu’a été toute sa vie Guy Fournier, je lui ai écrit mon admiration sur sa façon de saisir l’âme de l’artiste hors pair que fut Jean-Marc Vallée. Il a généreusement accordé la permission au site des Artistes pour la Paix de le reproduire.

On n’a qu’à lui ajouter l’hommage ému et aimant de Josée Legault dans le même numéro du 28 décembre 2021 du Journal de Montréal, ainsi qu’une facette de lui, révélée dans l’entrevue de Michel Lacombe au 21e à Radio-Canada à la fin 2016 : celle de son amour des femmes dont il goûtait, autant que de la musique, la vraie perception semblable à la sienne d’un monde sans testostérone, telles Reese Witherspoon dans Wild et Nicole Kidman dans la première série de sept épisodes Big little lies qui rafla une douzaine d’Emmy et de Golden Globe.

Merci, cher Guy !   P. J.

Pour un homme comme lui, les anglophones emploient le mot « dedicated ». Je pourrais donc écrire que Vallée était un créateur « dédié », mais ce mot ne le définirait pas aussi bien que le mot anglais. Il y a quelque chose de mystique dans « dedicated », comme il y avait chez Vallée un attachement quasi religieux pour le cinéma.

Les réalisateurs détestent souvent les salles de montage. Ceux qui connaissent comment se fabrique un film savent qu’il y a un monde entre le tournage et le montage. Le tournage, c’est l’effervescence, le branle-bas, presque le chaos. Comme un capitaine en pleine tempête, le réalisateur y est maître après Dieu. Ce voyage turbulent à l’issue incertaine peut durer un mois, deux mois, parfois plus. Il faut au capitaine des nerfs solides. Ceux de Jean-Marc étaient d’acier.

Seul dans une salle de montage, Vallée exultait. Dans la quasi-obscurité du lieu, son regard fixait chaque image avec intensité pour en tirer des séquences signifiantes. Jean-Marc travaillait au montage avec la patience et la lenteur d’un joaillier. Il cherchait à mettre en valeur chacune des images comme s’il s’agissait de pierres précieuses.

La naissance de C.R.A.Z.Y.

C’est dans la pénombre et l’atmosphère monacale d’une salle de montage que furent conçus tous les films de Jean-Marc Vallée, en particulier C.R.A.Z.Y., le plus personnel et le plus québécois de tous. Vallée y a passé un temps fou pendant qu’il remuait ciel et terre pour obtenir les droits des chansons qui avaient meublé son adolescence. Ce sont ces musiques qui avaient construit l’homme qu’il était devenu.

J’étais à Toronto en mars 2006 lorsque C.R.A.Z.Y. remporta 11 prix Génie. Le film rata seulement le trophée de la photographie, signée Pierre Mignot. Quant à moi, il aurait bien mérité ce prix-là aussi. J’imagine que le jury aurait trouvé indécent qu’à Toronto un film québécois rafle tous les trophées.

À l’issue du gala, je courus retrouver les acteurs et les artisans qui venaient d’assister au triomphe. C’était vraiment le triomphe de Vallée, car même les acteurs couronnés d’un trophée comme Danielle Proulx et Michel Côté refusaient de prendre le moindre crédit.

Quand je félicitai Paul Jutras, qui avait remporté le Génie du meilleur montage, il refusa net, lui aussi, de s’attribuer le moindre mérite. « Jean-Marc a tout fait, me dit-il, avant d’avouer à mi-voix qu’il ne travaillerait plus avec lui, car il est intransigeant jusqu’à l’obsession ».

La musique avant toute chose

Ce perfectionnisme de Vallée, qui ne laissait place à aucune concession, j’en connaissais un bout. J’ai travaillé quelques années comme auteur avec la dramaturge et scénariste Chantal Cadieux (Providence, Mémoires vives, Une autre histoire, etc.), qui fut durant 15 ans la conjointe de Jean-Marc. Elle fut donc à même de constater à quel point il était totalement absorbé par son travail lorsqu’il écrivait et préparait un film.

Cet homme plutôt solitaire, qui pouvait même paraître revêche, fondait comme glace au soleil en écoutant de la musique. C.R.A.Z.Y. est la preuve de l’importance qu’elle prenait dans sa vie.

Ce n’est pas sans raison qu’il fut l’un des premiers à reconnaître le talent notable d’Alexandra Stréliski. Comme il fut l’un des premiers à croire au documentaire de Marie-Julie Dallaire, Comme une vague, une ode envoûtante à la musique et au pouvoir des sons.

Que Jean-Marc Vallée disparaisse le jour de Noël est une étrange ironie lorsqu’on se rappelle que c’est une fête qu’abhorrait Zachary, l’adolescent de C.R.A.Z.Y. que personnifiait Marc-André Grondin.