Historique de la question
En 2008, la nouvelle ministre Marguerite Blais du gouvernement Charest déclarait : « les aînés sont une priorité pour notre gouvernement ». Yves Lévesque qui a participé à la commission gouvernementale pour la Loi 16 modifiant diverses dispositions législatives en matière de santé et de services sociaux afin notamment de resserrer le processus de certification des résidences privées pour aînés, adoptée en novembre 2011, a senti le besoin d’exprimer son haut-le-cœur [1], face aux magouilles privées qui ont saboté les bonnes intentions libérales, y compris celles de la bonne ministre Blais. Car elle déclarait avec fierté que « déposer la politique Vieillir chez soi, prévue pour le printemps 2012, sera la priorité du gouvernement » ! On sait comment l’attitude fermée du gouvernement libéral face aux jeunes et sa proximité avec des magouilleurs tels le ministre Tomasi et divers proprios douteux de garderies et maisons de retraite privées ont provoqué ce qu’on a appelé le printemps érable. Et Marguerite, avec un mari aux prises avec la maladie, démissionnera pour effectuer son retour en 2018 au sein de la CAQ.
Francine Pelletier dans Le Devoir écrit : « Outre [les ministres] Marguerite Blais et Réjean Hébert, QUI s’est montré véritablement intéressé à débattre de la question ? Les deux, d’ailleurs, préconisent un tout autre modèle que ces hospices souvent délabrés et presque toujours déprimants : davantage de soins à domicile, pour ce qui est du Dr Hébert, et des Maisons pour aînés du côté de la ministre Blais » (inspirée par le modèle de la Maison Gilles Carle chère à Chloé Sainte-Marie).
Mais le meilleur historique de la question est, tel que ressorti par la députée de Québec Solidaire Catherine Dorion, le discours imagé et concret de Michel Chartrand. Père de sept enfants conçus avec sa femme Simonne (Artiste pour la Paix de l’année 1992, pour ses activités antinucléaires internationales conjuguées à un engagement social et féministe enraciné localement), lorsqu’il empoigne une couche pour illustrer l’indignité dans laquelle on plonge nos aînés, c’est avec une authenticité certaine ! Son discours dénonce la pauvreté érigée en système par les orphelinats des communautés religieuses vite transformés en mouroirs, parce que contrairement aux Chinois valorisant leurs aînés, les Nord-Américains capitalistes y voient « des vieux jetables », attitude sans doute responsable du bientôt million de cas atteints du COVID-19 au nord du Mexique (qui doit avoir hâte que Trump termine son mur !).
Les CHSLD maudits par Legault
S’il est vrai que du renfort est nécessaire dans 41 CHSLD (sur 2600 !), le discours impatient de Legault du 15 avril, au lieu de rassembler, a généralisé à tort des situations graves isolées et en émettant des consignes nationales, a bousculé tout le monde :
- les infirmières protestant par la bouche de leur syndicat contre une invasion de leurs tâches qui demandent une compétence particulière non transmissible magiquement à tout un chacun. Le fait que 8% seulement des gens qui se sont inscrits sur le site je contribue aient été retenus montre bien cette réticence qui n’est pas corporative mais simplement un désir de voir un travail bien fait ;
- les médecins spécialistes – 1700 d’entre eux s’étant en dedans de 24 heures autodéclarés désireux d’aider (ce que les médias sociaux ont dénoncé à cause de leurs salaires : damned if you do, damned if you don’t) – « pitchés » dans des foyers pour personnes âgées non préparés pour leur donner des rôles précis et loin d’être habilités, à part les urgentologues, à changer un lourd patient de côté sans se faire une hernie ou sans maltraiter la victime sur une civière instable. Le docteur Carignan de Sherbrooke, devant les taux d’hospitalisation qui augmentent très peu (le nombre de malades en soins intensifs diminue, même), communiquait à 13 heures le 16 à RDI avec un sourire, que des chirurgiens devraient plutôt être réautorisés à opérer leurs malades, plutôt que de répondre à « une opération politique de M. Legault ». De toute façon, les médecins spécialistes n’ont pas oublié que le ministre péquiste de la Santé Legault avait fait appel aux policiers – ce que même le ministre libéral Barrette n’a jamais fait – pour les forcer à venir assurer des shifts de travail supplémentaires ;
- les préposées aux bénéficiaires et employés des services d’entretien insultés par le discours assurant les médecins qu’ils n’auraient pas à s’abaisser à « laver les planchers », maladresse d’un haut dignitaire n’ayant pas encore compris que la COVID19 a nivelé les tâches, toutes essentielles si on veut le vaincre. Il s’agit d’une grogne réelle qui serait mille fois plus apparente si les gestionnaires des CHSLD n’imposaient pas à tout leur personnel « une entente de confidentialité qui les empêche de parler ouvertement aux médias ». C’est dans cette crainte qu’employés et infirmières de CHSLD et de maisons privées – tel l’infâme Herron de Dorval au proprio aux antécédents criminels – n’osent même pas reprocher à leurs gestionnaires de les mettre en danger en leur cachant l’avancée de la COVID-19 à l’intérieur de leur lieu de travail, certains trouvant comme seul moyen de protection de se déclarer malades ;
- quatre mille préposéEs au service à domicile pour les aînés mis à pied ( !?) et d’autres délaissant leur travail pour le CU canadien de 2000$ mensuels ou migrant vers les CHSLD pour la surprime ;
- les gestionnaires de CHSLD appelés à ouvrir leurs portes aux familles proches aidantes dûment identifiées comme non-porteuses du virus le même jour où la conférence de presse exige un renfort immédiat : allô débordements de leurs tâches et de confusions aux portes d’entrée !
La pandémie nous force tous à nous regarder dans le miroir : est-il normal de dépenser si peu pour celles et ceux qui s’occupent de nos personnes âgées (ou de nos garderies aussi appelées à rouvrir leurs portes à partir du même jour) ? Il est temps que le gouvernement aplanisse cette autre courbe de distanciation entre salaires élevés des banquiers et courageux travailleurs de l’ombre dans nos hôpitaux.
Un mot canadien et international
À Hamilton, ville de tradition syndicale ouvrière, le militant Ken Stone anime un collectif pacifiste appelé Hamilton Coalition to Stop the War dont on a traduit une lettre à Trudeau publiée sur ce site : notre introduction mentionnait l’Organisation Mondiale de la Santé [2], dont l’appel à tester a motivé d’abord les instances médicales québécoises, alors que les morts des autres provinces non auparavant testés ne sont donc pas déclarés victimes du Coronavirus dans leurs statistiques favorisées en apparence. L’ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ se voit sauvagement attaquée par Donald Trump qui a trouvé un maillon faible qu’il puisse blâmer pour sa propre gestion catastrophique de la COVID-19 qui fait subir aux États-Unis un nombre record mondial de morts, en proportion deux fois plus élevée chez les Noirs que le pourcentage de la population qu’ils représentent. Trump accuse avec racisme le Noir qui dirige l’OMS, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus (qui possède un doctorat en santé communautaire) d’être contrôlé par les Chinois, sous prétexte qu’ils ont aidé à rebâtir l’Éthiopie dont il était ministre, et en profite pour accuser aussi les Chinois d’avoir caché des informations permettant de mieux contrôler le Coronavirus, double racisme utile aux ambitions électoralistes du suprématiste blanc. Les Américains annoncent – comme les démocrates s’indignent, donc je reprends la phrase – le président Trump annonce qu’il suspend la subvention annuelle américaine évaluée à $115 millions par an (et non 400 millions énoncés par certains médias) par l’OMS qui signale en outre un important arriéré à cet effet pour 2019. L’organisme pacifiste féministe CODEPINK en a profité pour calculer que les payeurs de taxes américains versent $80 millions à chaque heure au Pentagone !
Saluons au Canada une première réaction contre le discours de Trump – et ce n’est pas trop tôt – de la part de la Vice-Première ministre Chrystia Freeland, appuyée par la Ministre de la Santé Patty Hajdu et la Dr. Theresa Tam, qui joue au Canada le rôle du Dr Horacio Arruda au Québec : le trio féminin a défendu la coopération du Canada avec les institutions multilatérales telles que l’ONU et l’OMS. La directrice de la Sécurité internationale au Ministère des Affaires globales s’en réjouira certainement, en espérant que son patron Philippe-François Champagne quitte son rôle de matamore anti-syrien et anti-iranien pour adopter la même posture coopérative.
C’est l’essence des recommandations des Artistes pour la Paix au Canada depuis notre création en 1983. Et bien sûr nous avons déploré depuis février 2014, pendant deux ans et demi sans aucune relance médiatique, que le Canada vende des blindés à l’Arabie saoudite en guerre avec le Yémen et où le Prince Mohammed Bin Salman vient de procéder à sa 800e exécution depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2015. Nous dénonçons depuis 2016 (nos lecteurs connaissent notre refrain censuré par les médias autres que l’Aut’Journal), que Trudeau accorde pour satisfaire l’OTAN $70 milliards à la construction de navires de guerre Irving/Lockheed Martin !
[1] Ne pas confondre avec l’ex-maire conservateur de Trois-Rivières. Voir cet article.
[2] Voir article du 17 mars et celui du 30 mars.
Aujourd’hui 20 avril, M. Legault, Mme McCann et M. Arruda ont remis le véhicule du gouvernement sur la route tracée depuis le début de l’infection. Ils ont redressé le dernier message chaotique, en précisant que les renforts demandés dans les CHSLD étaient des engagements pour de longues périodes et qu’il n’était pas question qu’on assiste à des va-et-vient dangereux. La ministre de la Santé a rassuré ceux et celles qui souffrent de maladies urgentes autres que le COVID-19 que les urgences des hôpitaux ne seraient pas dégarnies de spécialistes et infirmières soignant les maladies de cœur ou autres. Les Artistes pour la Paix se joignent au message de condoléances offert à la famille de Victoria Salvan, qui est morte du virus en assurant nuit et jour la permanence des soins dans son CHSLD. Enfin M. Legault a reconnu du bout des lèvres qu’il n’avait pas à blâmer les syndicats pour la hausse de salaire non accordé aux préposéEs qui ont tenu le fort dans des conditions déplorables, à qui il a rendu hommage.
Pour plus de concret à notre article, voici une opinion parue dans La Tribune du 9 mai de l’ancien ministre de la Santé et ministre responsable des aînés de 2012 à 2014 au Parti Québécois, Réjean Hébert. Il est présentement professeur titulaire à l’ École de santé publique de l’Université de Montréal : merci à Michèle Jean pour la référence !!
« Pendant que l’attention médiatique est tournée à juste titre vers le drame des personnes âgées qui meurent dans les CHSLD ou sont confinées dans les résidences pour aînés, il faut préparer l’après catastrophe. Il faut d’abord analyser les causes profondes de l’impact démesuré de la COVID-19 sur les personnes vivant en milieu de vie collectif. Comment en sommes-nous arrivés là?
Qu’avons-nous fait, ou plutôt qu’avons-nous négligé, pour créer les conditions permettant la survenue d’une telle hécatombe? Mais après l’analyse, il faut rapidement agir; des solutions existent pour corriger la situation et mettre en place des mesures qui préviendront la répétition de ce drame et permettront aux personnes âgées vulnérables de mieux vivre au sein de la société.
Le Québec vieillit : on le répète souvent mais on ne réalise pas à quel point. Dans moins de 15 ans, les personnes de plus de 65 ans constitueront le quart de la population. Le Japon y est déjà et nous dépassons maintenant la plupart des états européens qu’on appelait jadis les « vieux pays ». Ce vieillissement démographique n’est pas une catastrophe, ni sociale, ni économique, ni même sanitaire. Il faut toutefois prendre acte des faits et adapter nos structures et nos services à cette nouvelle réalité.
Force est de constater que nous refusons de voir notre vieillissement collectif; nous refusons de voir les vieux et les vieilles. On recourt même à toutes sortes d’appellations pour masquer la réalité : les âgées, les aînés, les seniors, les sages. Ces pudeurs langagières cachent notre déni profond du vieillissement et des vieux. On continue de se comporter comme une société jeune, à commencer par notre système de santé. Les réformes des dernières décennies ont placé encore plus l’hôpital au centre du système et des institutions alors que les soins des vieux à domicile ou en institution sont relégués à l’arrière-plan. Que ce soit au niveau des budgets, des constructions et rénovations, des préoccupations des gestionnaires, des ressources médicales ou infirmières, du personnel d’aide et de soutien, c’est l’hôpital qui reçoit la priorité.
On s’étonne dans ce contexte qu’il y ait pénurie de personnel en CHSLD : pénurie de préposés pour apporter les soins de base, pénurie d’infirmières pour élaborer et appliquer des plans de soin de qualité, pénurie de médecins pour assurer un traitement adéquat des multiples maladies chroniques et des détériorations aiguës. Ajoutons à cela l’absence d’une gouvernance de proximité et d’une gestion efficace et agile et vous avez là tous les ingrédients pour l’éclosion d’une catastrophe.
Une tragédie silencieuse
Mais la crise masque une tragédie silencieuse : les dizaines de milliers de personnes vulnérables qui vivent à domicile. Déjà elles ne recevaient que des miettes de services. Avant la COVID-19, on répondait à peine à 5% des besoins. Or le personnel du soutien à domicile des CLSC a été conscrit pour pallier la crise provoquée par la Covid 19 dans les CHSLD. Les préposés des Entreprises d’économie sociale en aide à domicile (EESAD) n’y sont plus : soit ils ont été congédiés ou suspendus pendant la pandémie, soit ils ont migré vers le secteur public plus rémunérateur. Les personnes sont donc laissées sans services : une bombe à retardement qui explosera bientôt dans nos urgences, à moins que ces personnes ne meurent simplement à la maison dans le silence et l’indifférence.
Des solutions existent pourtant. En institution, il faut redonner aux CHSLD leur capacité de gestion et de gouvernance locale et leur accorder un financement à la hauteur de leur mission et des besoins de leurs usagers. Il faut rebâtir une équipe médicale et infirmière dédiée et stable. Il faut enfin revaloriser le rôle, la rémunération et les conditions de travail des préposés.
Mais la vraie solution se trouve à domicile en assurant les soins et services nécessaires au maintien des personnes âgées dans leur milieu de vie en dépit d’une perte d’autonomie. C’est ainsi qu’on préviendra l’exode vers des milieux de vie collectif qui offrent, à des prix souvent prohibitifs, l’illusion de la sécurité et de l’accès à des soins. La crise actuelle illustre de façon spectaculaire que cela n’est que mirage.
Les soins à domicile doivent être mieux financés, certes, mais cela n’est pas suffisant. Ils doivent être financés autrement que via les budgets des institutions. À preuve, les 110 millions de dollars que nous avions investis en 2013 (une augmentation sans précédent de 20% du budget des soins à domicile) ne se sont pas traduits par une augmentation des services. Bien au contraire, le nombre de services reçu par les personnes âgées a diminué de façon dramatique de 2011 à 2015 en dépit de cette injection substantielle. Où est allé l’argent ? À l’hôpital pour combler les déficits de ces ogres insatiables.
Il faut donc changer la façon de financer : au lieu de financer les établissements, financer plutôt les personnes. C’est ce qu’ont fait de nombreux pays comme le Japon, la France et les pays d’Europe continentale en implantant des assurances publiques des soins à long terme. C’est ce que proposait le projet d’assurance autonomie que nous avons mené de 2012 à 2014 pour le gouvernement Marois. Le fonctionnement est simple : 1) on évalue les besoins des personnes (on a déjà un outil pour ça, le Système de mesure de l’autonomie fonctionnelle), 2) on détermine le plan d’intervention et l’allocation des services (on a déjà des professionnels qui font ça : les gestionnaires de cas), 3) on attribue une allocation basée sur les besoins (on a déjà un outil de gestion pour faire ça : les Profils Iso-SMAF), 4) on crée un fonds spécifique protégé qu’on alimente régulièrement (150 à 200 millions de dollars ajoutés annuellement pour atteindre plus de 2 milliards d’ici 15 ans), 4) la personne décide à quels services sera dédiée l’allocation et qui donnera le service : le CLSC, l’EESAD, l’organisme communautaire, l’entreprise privée ou dans certains cas l’employé ou la proche aidante.
Tout était prêt : la consultation publique suite au Livre blanc avait recueillis un très large appui, le Projet de loi était déposé, les outils informatiques et de gestion étaient développés. Mais les élections anticipées ont fait avorter le projet.
Il faudra bien y revenir. Peut-être que la crise permettra à ce phénix de renaître de ses cendres. C’est une évolution incontournable pour rebâtir un système de soins et de services à domicile de qualité, adapté à la population d’aujourd’hui. Il faut permettre aux personnes de vieillir là où elles ont choisi de vivre avec l’assurance de recevoir les services dont elles ont et auront besoin.
Sinon, à quoi bon avoir consacré ma vie professionnelle à promouvoir le soutien à domicile, à développer et valider des outils pour mesurer l’autonomie et pour gérer les services, à inventer un modèle d’intégration de services basé sur des gestionnaires de cas, à assurer le transfert de ces innovations dans le réseau, à former des étudiants en recherche et en clinique, à créer des structures de centre, réseau et institut pour stimuler la recherche sur le vieillissement, à intervenir dans des groupes de travail et des commissions, à quitter le confort de la vie académique pour porter le message en politique, d’abord à Québec puis plus récemment à Ottawa.
À quoi bon quand des milliers de personnes âgées meurent dans les institutions et que d’autres souffrent à domicile ou sont forcées de déménager dans des résidences collectives coûteuses. À quoi bon répéter encore et encore dans les médias ou chuchoter en coulisse à l’oreille des fonctionnaires ou des politiques pour qu’enfin on prenne les moyens pour adapter la société et ses services aux besoins des personnes vulnérables. Je le fais depuis 35 ans et continuerai de le faire jusqu’à mon dernier souffle, fût-il au fond d’un lit en CHSLD. »