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Photo Andrew Miller

On pardonnera au musicien que je suis d’avoir été totalement séduit d’abord par la musique signée par Colin Gagné, inspiré par Raphael Cruz à qui le spectacle est dédié. Car Raphaël est hélas décédé à Paris en début d’année à 31 ans, alors qu’il s’apprêtait à travailler avec le chorégraphe Philippe Decouflé [1].

La production Passagers éblouit par une mise en scène de Shana Carroll, assistée par Isabelle Chassé. Leur création inspirée par le monde ferroviaire exploite les deux rails de nos destinées, comme le confie avec simplicité Shana au Journal de Montréal : « il y a un côté qui peut être très tragique et triste dans la vie, et un côté très joyeux, plein d’amour, de connexions et de magie. Ça nous appelle à la fois au futur, à l’aventure, à un pays lointain, mais en même temps, c’est très nostalgique de nos passés, des vieux pays. C’est aussi un paradoxe: quand tu es dans le train, tu vois ta réflexion dans la fenêtre et tu vois le paysage qui passe très vite, tu te sens immobile, mais tu bouges rapidement, tu accélères… Aussi, tu fais un truc très privé, mais dans un espace public ». Selon Isabelle Paré (Le Devoir) : « Passagers marie images, musique et prestations acrobatiques dans un tourbillon évocateur et inspirant. La prestance des huit (!) jeunes artistes sur scène est lumineuse, notamment lors d’un numéro de contorsion hors norme, livré entre les banquettes d’un train par la jeune Maude Parent, qui saisit ensuite la salle en entonnant, à sa façon, l’air grave de Burma Shave de Tom Waits. »

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Photo Andrew Miller

On ne saurait mieux décrire le parcours de cette heure et demie qui démolit les mythes d’une jeunesse sans énergie : or avant, pendant et après ce spectacle, la TOHU vibrait de tous ses multiples espaces envahis par un public jeune et animé. Telle l’extraordinaire entreprise Force Avenir qu’on ne vante pas suffisamment, les 7 doigts de la main explorent une voie fondamentalement humaine, menée par l’audace de leur mentor à qui les Artistes pour la Paix avaient décerné le prix 2014, Nassib el-Husseini. Le parcours professionnel de ce diplômé de sciences politiques de l’UQAM (Ph.D.96) illustre sa foi inébranlable en le mariage de gens d’ici et d’immigrés, réunis dans la célébration de l’art circassien, sous l’égide de projections multimédias.

Est-ce à dire que la jeunesse de Passagers représente un ensemble engagé politiquement ? Non, elle semble plutôt insolemment individualiste, chaque danseur resplendissant dans une forme physique dangereuse de surpassements [2] : les numéros de voltige aérienne nous font craindre l’accident fatal que l’audace de ces jeunes courtise à chaque seconde, le sourire insolent aux lèvres et même le doigt levé en dérision, en pleine acrobatie !

Cette jeunesse perçoit nos idéologies comme dégonflées par l’usure du temps et elle interrompt même ses propos pseudo-philosophiques citant Einstein par un auto-cynisme qui épouse bien l’air du temps. Mais à la manière de Camus qui, contre le sombre existentialisme des « professeurs de désespoir » (lire Nancy Huston), célébrait la vie des corps amoureux sur la plage, au soccer et au théâtre, voici cinq acrobates masculins à l’écoute attentive de leurs trois comparses féminines, dont deux chantent très joliment, pourtant à peine remises de leurs cascades époustouflantes. Nul doute que les deux chorégraphes Shana et Isabelle ne sont pas étrangères à ce souffle féministe qui anime cette dernière production des 7 doigts de la main. Privilégié d’avoir assisté à la première mondiale de Passagers, je suis intimement persuadé que cette éblouissante production est appelée à un avenir international d’envergure et saura séduire, entretemps, les familles québécoises qui se laisseront entraîner dans le temps des Fêtes par le dynamisme de cette si forte et remarquable jeunesse.

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Agence QMI – Photo Sébastien St-Jean


[1] Découvert par le public montréalais en 2001 au Centre Pierre-Péladeau, avec sa création chorégraphique Shazam! qui rendait hommage au cinéma.

[2] À vanter particulièrement : trois femmes artistes virtuoses impliquées et une jeune étoile du Vermont, Brian Schellkoepf, acrobate dont la souple longilignité n’entrave en rien sa capacité inouïe de ressentir son centre de gravité, en toutes circonstances, même sur un fil de fer (voir photo).