Compositeur reconnu internationalement, Gilles Tremblay s’est démarqué par une démarche personnelle empreinte de spiritualité. Véritable magicien des sons, sa musique est une célébration de la beauté et du mystère de la nature et de la fraternité universelle. Parmi la quarantaine d’œuvres qu’il signe, mentionnons Souffles (Champs II) (1968), …le sifflement des vents porteurs de l’amour (1971), Fleuves (1976), Triojubilus (1985), Les Vêpres de la Vierge (1985-1986), Avec – Wampum Symphonique (1992, pour le 350e de Montréal), L’Arbre de Borobudur (1994), Les Pierres crieront (1998), À quelle heure commence le temps (1999) et L’eau qui danse, la pomme qui chante, et l’oiseau qui dit la vérité (2004-2007). Sa « Sonorisation du Pavillon du Québec » à l’Expo 67 à partir de sons naturels enregistrés partout au Québec lui a valu le Prix de musique Calixa-Lavallée en 1968 [2]. Artiste engagé dans sa communauté, Gilles Tremblay a reçu également le Prix Denise Pelletier (1991), le Prix Serge-Garant (1997) et un Prix Opus-hommage (2002).
Né à Arvida (Saguenay) en 1932, Gilles Tremblay avait fait ses études aux conservatoires de musique du Québec et de Paris. Il y a bénéficié de l’enseignement de Claude Champagne, Jean Papineau-Couture, Isabelle Delorme, Jean Vallerand, Germaine Malépart et d’Olivier Messiaen. Son séjour en Europe lui permettra également d’assister aux cours d’été de Darmstadt et de faire la connaissance de piliers de la musique du 20e siècle, dont Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis et Pierre Schaeffer. Compagnon d’armes des Serge Garant, Otto Joachim, Pierre Mercure et François Morel, il était un pédagogue exceptionnel qui a formé plusieurs générations de compositeurs tels Claude Vivier, Michel Gonneville, Yves Daoust, Isabelle Panneton, Serge Provost, Jean Lesage, Estelle Lemire ou Kiya Tabassian. Tout en étant éminemment de son temps, Gilles Tremblay a marqué profondément la musique contemporaine en amalgamant dans un tout cohérent la tradition et la modernité.»
À Walter Boudreau, directeur artistique de la Société de musique contemporaine
du Québec, merci pour ces trois paragraphes!
[1] Précisons que Gilles avait adopté comme résidence d’été, l’ancienne demeure à Saint Joseph de la Rive de Félix Antoine Savard, écrivain mythique à qui j’avais plusieurs fois rendu visite dans les années 60 (PJ)
[2] Et un engagement d’enseignement au Centre de Musique Orford (Centre d’Arts, comme il s’appelait alors) PJ
Adieu à un être humain et à un artiste immense. Merci Gilles Tremblay pour ta musique si profonde, si poétique, si positive. Merci pour ces interminables heures passées sur un banc de parc à refaire, encore et toujours, le monde. Merci d’avoir été un grand-père d’adoption qui a cru en ma musique dès ses balbutiements. « Nous sommes une civilisation qui s’ignore», me disais-tu. On va continuer à travailler là-dessus, promis. Toutes mes pensées à Jacqueline et à toute la famille.
Symon Henry, jeune compositeur proche des Artistes pour la Paix
« Poète, philosophe, idéaliste, rêveur, croyant, humaniste, musicien, pédagogue et éveilleur, comme l’a décrit la musicologue Marie-Thérèse Lefebvre, le compositeur Gilles Tremblay s’est éteint à l’âge de 85 ans le 27 juillet dernier. Être profondément engagé dans la société québécoise, il n’aura jamais hésité à se rendre disponible pour la défense des causes justes. L’engagement de celui à qui le milieu musical québécois [est tant redevable] — en particulier la SMCQ, qu’il avait contribué à fonder en 1966 et dont il a été le directeur artistique de 1986 à 1988 — (…) se confirme à la lecture des écrits du compositeur, dans lesquels celui-ci livre de nombreux plaidoyers en faveur de la responsabilité collective de notre devenir musical et politique.
L’un des premiers plaidoyers du compositeur aura concerné le Conservatoire de musique de Montréal, où il devient professeur en 1962 (…). [ Son intervention constante en faveur d’un lieu digne de sa mission, qui aboutira en 2009] illustre la volonté de l’artiste de s’inscrire dans le débat public et de s’engager dans la défense de l’« école d’État ». Gilles Tremblay défendra également en 1982 le développement plus autonome du Conservatoire de Montréal et accordera son soutien en 2001 aux actions de la communauté des professeurs et étudiants dans le dossier de la relocalisation du Conservatoire de musique.
La radio d’État, et en particulier la radio culturelle, ainsi que le lien entre la radiophonie et la musique auront été une préoccupation constante de Gilles Tremblay. Il présentera la radio comme un outil démocratique capable « d’animer le Québec » et « d’assurer une ouverture aux autres ». Dans une autre lettre ouverte, parue dans Le Devoir du 19 juillet 2002, Gilles Tremblay commente la disparition de la chaîne culturelle de Radio-Canada : « Mais le plus troublant, c’est qu’une politique et des décisions sont adoptées prétendument dans l’intérêt du public, en catimini, donc en méprisant ce même public, comme si ces décideurs savaient ce qui est bon pour le public à la place de celui-ci. » Les vues exprimées par Gilles Tremblay sur le rôle de la radio publique expliquent le soutien qu’il apportera successivement, en 2006 et en 2008, à deux mouvements destinés à maintenir, voire à créer, une radio culturelle au service de la musique et de la création musicale, soit le Mouvement pour une radio culturelle au Canada ainsi que le Mouvement Radio-Québec (…).
En recevant le prix Denise-Pelletier en 1991, il fait un vibrant plaidoyer pour la composition et plaide pour une aide aux compositeurs sous forme de commandes d’œuvres. Avec la générosité qui le caractérise, il affirme à cette occasion : « Puisqu’il y a symbole, je le partage avec tous mes collègues et amis compositeurs, des aînés aux plus jeunes dont la situation est non seulement difficile mais précaire [1] (ne serions-nous pas devenus des bélugas culturels ?). Considérant ce symbole comme un signe prometteur, j’invite du même souffle le gouvernement du Québec à combler un vide inexplicable en matière d’aide à la composition musicale sous forme, entre autres, de commandes d’oeuvres. » Passant quant à lui de la parole aux actes, Gilles Tremblay fera d’ailleurs un don de 25 000 $ à la SMCQ aux fins de commandes d’œuvres.
Durant son parcours exceptionnel d’artiste et de citoyen, Gilles Tremblay a enrichi le Québec. Cet homme d’idées, de convictions et de projets aura été un homme d’exception que le Québec doit être fier de compter parmi les artisans de sa culture unique qui enrichit le patrimoine culturel de l’humanité. L’engagement de Gilles Tremblay doit inspirer la communauté musicale d’aujourd’hui et le Québec tout entier. Les mots du poète — et du croyant — qu’il fut décrivent d’ailleurs éloquemment le sens de ce service et la finalité de son engagement :
« Surgissement de la Musique. Quelle joie et grand moment mystérieux ! Il nous emporte vers un ailleurs encore plus mystérieux et joyeux. La composition est l’une des voies de ce mouvement. Voie de musique que chaque être humain peut ressentir et comprendre, dans la surprise éblouie de la multiplication des possibles, à contre-courant de la banalisation généralisée, dans l’exaltation à la fois enchantée et dramatique de la vie, dans l’élan en accord avec le geste Créateur : la Genèse au présent. »
Merci à Daniel Turp pour avoir, par ces six paragraphes, si bien ressuscité l’engagement de Gilles Tremblay. Maître Turp est connu de nos lecteurs pour avoir brillamment porté notre engagement exprimé dès février 2014 [2] contre la vente de blindés à l’Arabie saoudite sur la place publique et sur la voie de la justice, avec l’aide de ses étudiantEs de l’Université de Montréal.
L’engagement ne se définit-il pas ainsi : le courage et la probité de s’engager avant tout le monde – et parfois malgré la société – dans une cause qui apparaît à prime abord suspecte? L’été 1990, comme on le constatera en lisant l’éloge funèbre par Monique Giroux de Myra Cree (APLP de l’année 2004) ou notre hommage à Alanis Obomsawim (2013), avait été témoin de la démarche poétique des APLP Dimitri Roussopoulos, Gilles Carle et Arthur Lamothe offrant des courges, des fèves et du maïs aux femmes encerclées par la Sûreté du Québec à Kanesatakeh.. Et le compositeur avait renchéri à l’action des Artistes pour la Paix par sa célèbre lettre s’indignant de la lapidation d’un convoi mohawk forcé de quitter Kahnawakeh par crainte de l’intervention armée lors de la crise d’Oka, convoi hélas accueilli à Montréal par des manifestants ameutés par des tribuns radiophoniques. Sa lettre, demandant au gouvernement du Québec d’exprimer en notre nom nos plus profondes excuses à la Première Nation mohawk, fut signée par cinquante APLP célèbres, suite à des jours de téléphones et de démarches; il s’agissait de contrer l’atmosphère raciste d’août 1990: hélas, Lise Bissonnette du Devoir refusera de publier la pétition des 50 et des médias accusèrent les APLP d’être pro-Indiens et anti-Sûreté du Québec (sic!), provoquant le retrait de centaines de nos membres désinformés.
L’engagement de Gilles, que sa fille Joëlle, artiste multidisciplinaire, porte magnifiquement, le portera lui-même à créer Avec – un wampum symphonique, une œuvre moderne, que Charles Dutoit créera à l’occasion du trois cent cinquantième anniversaire de Montréal, sur les ondes des radios francophones du monde avec l’Orchestre Symphonique de Montréal en 1992, suite à quoi les Artistes pour la Paix seront heureux de lui décerner le prix Artiste pour la Paix de l’année 1992. Cette décision fut vivement applaudie par son frère (cousin ?), le violoniste traditionnel et APLP Dominique Tremblay (père de Mara) et par une membre de notre conseil d’administration d’alors et présidente du jury pour les Prix du Québec, Maryvonne Kendergian: une de ses plus grandes amies et admiratrices partageait avec lui une intense foi chrétienne, car on trouve un lien entre tradition et modernité dans ses œuvres inspirées du chant grégorien, de la polyphonie de Guillaume de Machaut, de Monteverdi (et même de Mozart pour qui il vouait la plus grande admiration, exprimée au duo de pianistes iraniennes, les sœurs Hourshid et Mehrshid Afrakteh qui avaient joué pour lui la sonate pour deux pianos du maître de Salzbourg). L’exemple le plus éloquent de ces liens entre tradition religieuse et modernité, Les Vêpres de la Vierge, furent créées dans l’abbaye Sylvanès : nichée dans la vallée du Tarn, il s’agit d’un exploit de résurrection architecturale et acoustique accompli avec l’aide de Danielle Miterrand par un de nos ami commun, l’abbé André Gouzes ! Ce chef d’oeuvre religieux a sûrement inspiré un de ses élèves (oublié par Walter Boudreau), Petros Shoujounian, très grand compositeur de culture arménienne, actif à Montréal et dont les oeuvres portent une spiritualité caractéristique!
L’immense respect de Tremblay pour les autochtones lui soufflera aussi la composition L’Appel de Kondiaronk, symphonie portuaire, travail environnemental pour bataille de sirènes et 2 locomotives (2000), créée en face du musée Pointe-à-Callières. Peu de temps après l’AVC qui l’empêchera de composer à la fin de sa vie, son épouse Jacqueline à qui tant de jeunes en pré-scolaire doivent leur initiation aux arts, me verra, complice de nos engagements communs, reconnu par le très beau sourire et les bras ouverts de Gilles, malgré la brume qui obscurcissait son cerveau. J’avais profité de la générosité de Gilles [3] bien avant, ayant permis au jeune étudiant auteur d’un modeste devoir sur Olivier Messiaen, de rencontrer le maître français, qui avait gratifié ma partition des Vingt regards sur l’Enfant-Jésus d’une belle dédicace. Et ce grand compositeur chrétien avait rendu l’hommage suivant à Tremblay : « il est le plus grand compositeur vivant en Amérique! ».
[1] On me permettra une autre incise : je constate avec consternation que cet été, les exemples se multiplient de la part de grands festivals de musique classique d’annoncer des concerts avec les noms des interprètes, sans même mentionner ceux de ses (parfois jeunes) compositeurs : une tendance honteuse (PJ).
[2] http://www.artistespourlapaix.org/?p=4994 c’est-à-dire deux ans et deux mois avant que la chose finisse par apparaître dans une vaste pétition http://www.artistespourlapaix.org/?p=10441 c’est-à-dire trois ans et quatre mois avant que les médias officiels daignent s’y intéresser…
[3] J’avais connu Gilles Tremblay en m’indignant contre une critique imbécile de Claude Gingras dans La Presse démolissant son œuvre si poétique Vers – Champs III, à la fin des années 60, si j’ai bonne mémoire.
Le Québec a perdu une de ses icônes musicales.
Gilles Tremblay était l’humaniste, le pédagogue, le protecteur, l’idéaliste et …un vrai Québécois.
Il restera dans nos souvenirs pour toujours.