NDLR : Les Artistes pour la Paix suivent le dossier de la vente de blindés légers depuis le début. Voici un suivi des derniers événements dont la récente décision de la Cour fédérale, sous la forme de ce texte diffusé par Daniel Turp, qui pilote la contestation de la vente en Cour.
Un appel possible du jugement dans l’affaire sur l’exportation de véhicules blindés légers en Arabie saoudite ?
Dans un délai plus rapide que l’équipe de l’Opération Droits blindés l’avait anticipé, la juge Danièle Tremblay-Lamer a rendu le 24 janvier 2017, au nom de la Cour fédérale du Canada, son jugement dans l’affaire Turp c. Ministre des Affaires étrangères du Canada dont vous pourrez consulter le texte intégral de 29 pages (cliquez ici). La demande de contrôle judiciaire présentée le 21 mars a été rejetée sans dépens pour des motifs énoncés dans une analyse l’amenant à conclure que le ministre des Affaires étrangères n’avait pas commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en octroyant des licences d’exportation pour des VBL vers l’Arabie saoudite. L’un des motifs fondant cette conclusion est formulé au paragraphe 45 du jugement qui se lit comme suit:[45] L’appréciation du risque raisonnable que le matériel soit utilisé contre la population civile appartient au Ministre, dont l’expertise en ces matières a été reconnue par les tribunaux (Lake c. Canada [Ministre de la Justice], 2008 CSC 23, para 37 [Lake]). Le fait qu’il n’y ait eu aucun incident impliquant des VBL dans la violation des droits de l’homme en Arabie saoudite depuis le début de la relation commerciale entre ce pays et le Canada dans les années 1990 est un élément de preuve significatif de cette évaluation. Pour qu’il existe un risque raisonnable, il doit au minimum y avoir quelque lien entre les violations des droits de l’homme dont on accuse l’Arabie saoudite et l’usage des biens exportés.
La juge Tremblay-Lamer procède également à une analyse portant sur les obligations internationales du Canada et la prétention selon laquelle la décision du Ministre enfreignait l’article premier des Conventions de Genève du 12 août 1949 et la Loi sur les Conventions de Genève adoptée par le Parlement du Canada aux fins de la mise en œuvre de ces conventions. Sur cette question, la juge est d’avis que :
[73] Comme le Canada n’est pas impliqué dans le conflit au Yémen et que ce dernier constitue un conflit armé non international, à mon avis l’article premier ne trouve pas application. Étendre la portée de l’article premier aux États qui ne sont pas partis à un conflit armé empêcherait l’exportation d’équipements militaires sans qu’il existe la preuve d’un risque substantiel que de tels équipements soient utilisés pour commettre une violation du droit international humanitaire. En l’espèce, l’historique d’exportations des VBL en Arabie saoudite ne supporte pas une telle conclusion.
Les membres de l’équipe de l’Opération Droits blindés ont procédé à l’examen de l’analyse du jugement lors d’une rencontre le 26 janvier dernier et ont évalué l’opportunité de porter ce jugement devant la Cour fédérale d’Appel. Une décision sera prise cette semaine à ce sujet après une consultation de Me André Lespérance et Me Anne-Julie Asselin qui ont plaidé l’affaire en Cour fédérale et qui ont généreusement accepté d’agir pro bono dans ce dossier.
Le jugement a suscité l’attention des médias québécois et canadiens, comme on en fait notamment foi l’article publié dans Le Devoir du 25 janvier 2017 sous la plume d’Hélène Buzetti et le titre « Ottawa avait le droit d’autoriser la vente de blindés à Riyad » ainsi que celui de Steven Chase intitulé « Federal Cours rejects suit to block Liberal’s Saudi arms Deal » paru dans le Globe and Mail du même jour. Une revue de presse que nous avons reçue révèle que la nouvelle a fait le tour du monde.
Un appel de cette décision est donc possible et je vous informerai de la suite des choses… dans mon mot de lundi prochain.
Cette affaire engage le Canada dans une spirale militariste. Si la vente d’armes à un pays aussi répressif que l’Arabie saoudite n’est pas précisément restreinte par la lettre de la loi, l’esprit de celle-ci reste trahi. Que fait le Canada sur cette voie guerrière, sinon manifester sa duplicité? Il ne saurait en effet prétendre défendre la paix et les droits de l’homme tout en profitant de ventes d’armes qui finissent toujours par tuer des gens avec lesquels il n’est pas en guerre. Ce serait plus simple et surtout plus juste de convertir ce type d’industries vers une production moins destructrice.