6 décembre montréalais 1990-2024

Par Claude Nicol, du C.A. des Artistes pour la Paix

Photo du 6 décembre 2024: Claude Nicol membre du C.A. des Artistes pour la Paix

Le 6 décembre 2024

Environ 250 personnes ont gravi en fin d’année 2024 le Mont-Royal pour commémorer le « drame » désormais reconnu tuerie féminicide de l’École Polytechnique survenue le 6 décembre 1989. On pouvait distinguer deux sections : d’abord les dignitaires composés de parents et de proches des victimes, ainsi que des représentants issus principalement des différents paliers gouvernementaux, réunis dans l’enceinte du Grand Chalet. Inondé par la lumière des projecteurs-télé, ce groupe s’offrait tout en contraste par rapport à la scène extérieure en contrebas, constituée des gens venus ajouter leur voix citoyenne à l’événement. L’obscurité avec le premier froid intense de la saison accentuait la charge émotive du moment. En avant plan du belvédère Kondiaronk nommé en l’honneur de l’artisan autochtone de la Grande paix 1701, quatorze faisceaux lumineux signifiaient chacun les quatorze vies fauchées de l’illustre cohorte d’aspirantes presque toutes à des carrières en génie. Ce dispositif, créé par la firme Montréalaise Moment Factory en 2014, est devenu un point focal de l’événement dans le temps et dans l’espace. Mais cette année 2024 était spéciale, puisqu’on a ajouté un 15ᵉ faisceau lumineux plus rougeoyant en hommage à toutes les victimes de féminicides.

Spéciale aussi parce que Heidi Rathjen et Nathalie Provost, les deux principales porte-paroles du mouvement PolySeSouvient, avaient un message réconfortant à livrer : en effet, la veille, le gouvernement libéral de Justin Trudeau, à travers l’engagement de ses ministres Dominic LeBlanc et Jean-Yves Duclos, de même que de ses députées Rachel Bendayan et Pam Damoff, « avaient adopté un deuxième décret interdisant des centaines d’armes d’assaut existantes (et en s’engageant à le parachever dans les prochaines semaines)» voir extrait de la déclaration de PolySeSouvient du 5 décembre 2024 (i).

L’actuel gouvernement finalisera-t-il ses engagements avant la prochaine élection fédérale ? Il est menacé par Pierre Poilièvre, futur premier ministre pressenti par les médias, plutôt favorable aux requêtes des lobbys des armes et, à l’instar de son maître à penser Stephen Harper qui en 2015 était allé jusqu’en Cour suprême pour faire retirer le registre des armes d’épaule, a affirmé qu’il allait « renverser tout ce que Trudeau a fait » en matière de contrôle des armes à feu puisqu’il estime que la loi s’attaque aux propriétaires légitimes et non aux criminels (ii).

20 ans de tergiversations et de haines misogynes encore hélas présentes

Cette menace ravive de tristes souvenirs de 1989 jusqu’à 2009, 20 ans de tergiversations tant de nos gouvernants que des médias « mainstream » pour arriver à qualifier et nommer cette tuerie « féminicide ». Ce n’est qu’en 2009 que la plaque commémorative initiale de la Place-du-6-Décembre-1989 où étaient inscrits les mots « en mémoire de l’événement tragique à l’école Polytechnique » a été remplacée par une nouvelle plaque appropriée « en mémoire des 14 femmes assassinées lors de l’attentat terroriste survenu à l’École Polytechnique ». Cela coïncida avec la sortie du film « Polytechnique » réalisé par Denis Villeneuve, jalon 2014 important dans la carrière du réalisateur, alors aidé par Karine Vanasse et salué par un article du président des APLP Pierre Jasmin (iii).

Si le terme de féminicide, longtemps absent du vocabulaire du commentariat et encore précédé par les désignations d’usage (ex: drame, tueur fou), fait maintenant partie de nos réflexions féministes actuelles, il a fallu du temps à divers débats et à prises de positions jugées radicales, pour resituer cette tragédie dans son contexte.

Au lendemain même de ce féminicide, plusieurs hommes se sont sentis interpelés dans leur haine des femmes et ont « célébré » le tueur Marc Lépine comme un héros ayant accompli un geste de premier plan exprimant la misogynie (et la frustration anti-universitaire) des incels (Involuntary celibates -célibataires involontaires) (iv).

Les incels ont intégré la sphère masculiniste dont ils sont les principaux porteurs de la haine des femmes. Ce segment social a vivement interpelé les artistes Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalphond qui ont décidé de mettre en lumière sous forme de pièce de théâtre (Projet polytechnique : Faire Face) présentée en podcasts, les tenants et aboutissants de cette confrérie. TV5 Monde sous la rubrique « les Terriennes » en a relevé l’intérêt (v) ainsi que la toujours pertinente Sophie Langlois de Radio-Canada dans son topo du téléjournal du 5 décembre dernier (vi). On y découvre ce qui semble partir d’un sentiment de frustration chez ces hommes qui ont un besoin de transmettre leurs perceptions en chambres d’écho sur certains réseaux sociaux (où on ne trouve jamais nos articles : faut-il le déplorer ou se féliciter de ne pas faire l’objet de leurs cibles?). Il s’en dégage des menaces pouvant conduire à l’acte ultime, dans un aboutissement de ce ressenti de haines anti-féministes.

Ce n’est sûrement pas par hasard, que hormis la protection par la Gendarmerie royale des dignitaires présents lors de cette commémoration, toutes les voies d’accès menant au Grand Chalet faisaient l’objet d’un blocage et d’une surveillance systématiques par le Service de Police de la Ville de Montréal, certains ayant probablement en mémoire l’attaque à la voiture-bélier du 23 avril 2018 à Toronto faisant dix morts, huit femmes et deux hommes, le conducteur du fourgon, Alex Minassian, faisant partie des incels mus par la haine des femmes et des LGBTQI (vii).

ii() Féminicides | Des mesures législatives pour le contrôle des armes à feu tardent à être mises en œuvre | La Presse, avec citation de la directrice des affaires juridiques de l’Association nationale Femmes et Droit, Suzanne Zaccour.

iii()https://www.artistespourlapaix.org/6-decembre-1989-polytechnique-le-quebec-se-souvient/ dont le titre représentait un souhait peu réel, vu que l’article a été largement censuré.

v() Trente-cinq ans après la tuerie de polytechnique, le Canada face aux ressorts de la haine | TV5MONDE – Informations On notera que le secteur Informations n’a pas utilisé le terme féminicide.