1- Du 26 au 30 mars 2013, le 12e forum social mondial a rassemblé 4500 organisations venues du monde entier avec plus de 40 000 participants rassemblés pour la première fois dans un pays arabe. Le nouvel observateur (4 avril) écrit sous la plume de Jean-Claude Guillebaud : « Toutes les sensibilités y étaient mélangées et – parfois- confrontées. Rebelles syriens et partisans du régime Assad ; féministes tunisiennes et islamistes d’Ennhada ; militants du Comité catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD) venus d’Europe, mais aussi représentants d’ONG canadiennes, latino-américaines ou africaines. Sans compter des milliers de participants arrivés d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient – Marocains, Algériens, Égyptiens mais aussi Bahreïniens et Libyens. Quant aux problèmes librement débattus à Tunis – statut de la femme, migrations, développement durable et inégalité, criminalité financière, etc. – c’est peu de dire qu’ils étaient chauds. (…) Ce sont d’abord les sociétés civiles qui, dans l’effervescence, travaillent à réinventer le long terme. Quant aux réflexions menées depuis Porto Allegre (2001) par les altermondialistes, elles paraissent avec le recul bien plus pertinentes que ne le furent les discours moulinés par les « puissants » à Davos. Que l’on se souvienne des critiques prémonitoires de la dérégulation financière, du refus de la primauté obsessionnelle accordée à l’économie par rapport au « vivre ensemble », des charges contre la vulgate vantant la fausse « efficience » des marchés, ou contre la cupidité ambiante. (…) L’indifférence de nos grands médias pour ces rendez-vous planétaires me fait songer à une remarque d’Amin Maalouf qui dénonçait un système où l’on « s’émeut instantanément de tout pour ne s’occuper durablement de rien ».
________________________________________________________________
2- Journal Le Devoir, Montréal, Québec, le jeudi 4 avril 2013
Forum social mondial – Les Tunisiens ont un printemps d’avance sur nous
Par Dominic Champagne, auteur et metteur en scène
NDLR : De passage à Tunis pour un projet de spectacle sur Mohamed Bouazizi, le marchand ambulant dont l’immolation sur la place publique a littéralement mis le feu aux poudres du printemps arabe, l’auteur a participé la semaine dernière à plusieurs ateliers du FSM à l’Université El Manar.
Près de 50 000 altermondialistes et membres de la société civile de tous les pays se sont rassemblés, sous le thème de la dignité, au Forum social mondial (FSM) qui se tenait à Tunis la semaine dernière pour participer à un intense brassage des idéaux porteurs de changements vers un autre monde possible.
En plein cœur d’une Tunisie encore fiévreuse de ce printemps qui lui a rendu sa liberté sans lui laisser tout à fait le temps de goûter son bonheur, une fraternité bien palpable, une réelle communauté d’esprit s’affichait entre Tunisiens, Québécois et autres citoyens du monde, avec comme principale solution de rechange à l’ordre mondial actuel l’arme de la résistance. Résistance : ce mot-là était sur toutes les lèvres.
À l’entrée du Théâtre El Hamra, à deux pas de l’avenue Bourguiba où les Tunisiens se rassemblent encore régulièrement pour manifester leur colère et leur inquiétude, cette phrase de Stéphane Hessel nous apostrophe : « Résister, c’est créer. Créer c’est résister. » À l’Université El Manar, dans l’Espace Climat, Nnimmo Bassey, figure de proue du mouvement nigérien contre les pétrolières et coordonnateur de Oilwatch, soulignait qu’à défaut de solutions globales, résister représente bel et bien la première solution : « Dire non au pétrole, c’est encore dire oui à l’eau potable et à l’air pur que nous offre la vie. »
Le devoir d’optimisme est un thème récurrent dans le discours ambiant. Comme si la principale solution de rechange au culte du profit était non pas celle du développement axé sur la croissance, mais celle de la liberté de vivre bien, du « bien vivir » cher aux citoyens du monde. La liste des utopies est longue : démocratie participative, fin de la pauvreté, justice climatique, souveraineté alimentaire, monde sans pétrole, égalités hommes-femmes, rencontre de l’exigence écologique.
S’ils profitent de ce lieu d’échanges pour se connaître et se reconnaître, créer des associations nouvelles et des réseaux qui mondialisent la résistance, les « altercitoyens » se demandent de plus en plus quelle stratégie adopter pour constituer une véritable solution de rechange aux pouvoirs existants. Car si les questions soulevées sont fondamentales – le développement pour qui, comment, et à quel prix ? -, la solution reste à définir et, surtout, à unifier. Les solutions sont multiples, mais elles demeurent éparpillées.
Le mouvement altermondialiste sait qu’il doit être capable de proposer une nouvelle « narration du monde » où, en bâtissant des consensus autour de solutions concrètes, il saura rallier une plus large part de l’opinion publique à son idéal d’un autre monde. À l’instar du peuple tunisien qui sera appelé aux urnes l’automne prochain, les altermondialistes sont confrontés au défi d’unifier les initiatives de la société civile en une pour en faire une option incontournable.
Si le destin d’un pays n’est pas seulement lié à l’action de son gouvernement, mais aussi au résultat du travail et à la volonté de changement de tous les citoyens, on se demande si la société civile pourra suppléer à la nécessité de réinvestir l’État. Le pouvoir ne sera exercé par les riches minorités ou les extrémistes religieux que parce que les hommes et les femmes oeuvrant à l’exercice de la démocratie n’auront pas trouvé le moyen de bâtir l’union qui fait leur force.
Pendant que des entreprises puissantes et bien organisées avancent partout sur le terrain d’une exploitation systématique des ressources du monde et de la financiarisation du vivant, menaçant tant les droits de l’homme que les biens communs de l’humanité, il semble de plus en plus pressant d’unifier ces propositions pour donner à ceux qui souhaitent du changement une vision commune et des politiques concrètes.
Pendant que le Canada annonce fièrement qu’il se retire du programme des Nations unies contre la désertification et que le gouvernement Harper met tout en oeuvre pour soutenir une industrie pétrolière mortifère, avançant dans l’atmosphère postrévolutionnaire de Tunis, au milieu de la foire aux utopies, on se prend à rêver d’un Québec qui participe pleinement à la coopération internationale et à l’entraide avec les peuples, d’un Québec chef de file dans la protection de l’environnement, fier héritier de sa forte tradition en énergies renouvelables, un Québec qui agit avec détermination à porter l’avant-garde énergétique, un Québec qui, par le privilège qu’il a d’être un pays riche et développé, mais toujours en phase avec les pays colonisés, a non seulement le potentiel de comprendre et de soutenir les défavorisés, mais aussi celui de générer de l’espoir qu’un autre monde est réellement possible.
Les Tunisiens ont un printemps d’avance sur nous. Après le printemps érable, nous avons maintenant le devoir, comme eux, comme tous les citoyens du monde, de faire un effort vers l’union des forces populaires pour établir les consensus qui présideront aux destinées de notre pays, qui demeure le premier territoire sur lequel nous pouvons agir pour la suite de notre monde.
___________________________________________________________
3- À NOUS DE JOUER!
Stéphane Hessel (1917-2013)
Appel aux indignés de cette Terre
Autrement, mars 2013 (texte non intégral)
« En ce début de XXe siècle, on a de nouveau l’impression que toutes les espérances de l’humanité au nom desquelles des générations entières se sont insurgées sont désavouées! Tout se passe comme si Dieu avait créé au 5e jour les employés et les ouvriers, puis au 6e les banquiers et les magnats de la finance, pour se reposer le dimanche en disant aux princes de l’argent : « Régnez sur vos citoyens et multipliez les richesses! » (allusion à Georg Büchner)
Bien moins unis que nos pères et mères, bien moins combatifs que nos aïeux qui exprimèrent leurs revendications dans la rue, souvent fourbus par la misère quotidienne, nous avons presque perdu de vue ce qui nous donne confiance et force : oser encore s’attaquer aux grands rêves de l’humanité!
C’est pour cela que nous faisons cet appel : préservez-vous d’un monde où l’inégalité s’accroît entre les pauvres et les riches et où la pauvreté est considérée comme normale. Réveillez-vous car l’indifférence n’est pas bonne! Ouvrez les yeux pour voir vos rêves avec clarté et précision!
Oui, le monde marche sur la tête! On nous demande de travailler plus mais de gagner moins d’argent. On nous demande d’en finir avec la solidarité parce que la concurrence, quel que soit son coût, doit donner le ton de la musique nouvelle pour soi-disant garantir la richesse. La vérité est que si cela continue ainsi, ce sont nos démocraties qui seront en cause. Tant que le capital passe avant les individus, tant que l’individu n’est que l’esclave de l’argent ainsi que sa victime, la paix n’est ici qu’apparence. Elle se fait au détriment de tous ceux qui n’entrent pas dans le système et aussi, ne l’oublions pas, de la Nature! Mais si le monde n’est plus qu’un tableau gris sur gris, nous devons saisir un pinceau et nous emparer de nouvelles couleurs! Si la jeunesse n’a pas d’avenir, le monde n’en aura pas non plus! Allons donc de l’avant avec les moyens pacifiques que la démocratie nous donne avant qu’il ne soit trop tard!
Oui, l’humanité est sur la voie d’une authentique « société mondiale » mais, pour le moment, seul le capital est vraiment mondial. Il nous manque comme toujours un système d’institutions suffisamment évolué, légitime et compétent à l’échelle mondiale. Ce sont encore beaucoup plus le mal et la souffrance qui nous lient qu’une paix globale correspondant aux principes de droits de l’homme appliqués partout dans le monde et au bien-être de tous les individus. C’est pourquoi il est bon de s’indigner et de s’engager, tant que la pauvreté et l’injustice politique s’amplifient. Mais cela nécessite également responsabilité et compassion, afin de devenir de vrais citoyens d’une société mondiale vraie et pacifique!
Nous savons tous, nous les habitants de cette planète, que nous ne disposons que de cette seule et unique Terre. C’est bien pour cela que nous devons prendre soin de ses populations plutôt que de les exploiter sans ménagement. Ne perdons pas plus de temps, unissons-nous et prenons ensemble la voie de la société mondiale! Il n’est pas possible d’arrêter le cours du temps, ce fleuve puissant qui ne se laisse retenir sans dommages. Les hommes construisent des murs, que ce soit au nom d’une politique inhumaine ou au nom de l’argent, mais ceux-ci finiront bien par tomber. Démocratie et participation, droits de l’homme et bien-être social sont des besoins de tous les peuples. Qui ne les respecte pas doit compter avec l’indignation. Allons plus loin, plus vite! (…) Beaucoup des problèmes évoquésne peuvent être résolus que si nous agissons ensemble et unis. Le temps presse, mais il y a une issue, celle des courageux, de ceux qui ont confiance. Et nous voudrions ici prendre congé avec ces vers de Roland Merk: « Seuls ceux qui ne savent pas reconnaître le début de quelque chose craignent la fin de tout ». Oui nous avons besoin d’indignation, de responsabilité et de compassion.
Aucun commentaire jusqu'à présent.