Mercredi le 26 mars 2008
Les Artistes pour la Paix expriment leur soutien au Dalaï-Lama, prix Nobel de la Paix, qui « en appelle à la cessation des violences au Tibet et prône la retenue et le dialogue ». Nous sommes aussi en faveur que les gouvernements occidentaux exercent un chantage lié à la présence de leurs dirigeants aux Jeux Olympiques, pour faire pression sur le président Hu Jintao afin qu’il respecte les droits de la personne au Tibet : droit de culte, droit de rassemblement, droit de parler la langue régionale, liberté de presse et d’internet, etc.
Comme membre d’une Caravane pour la paix invitée par l’Association culturelle tibétaine en 1993, logé exprès par les autorités chinoises dans un hôtel infect à l’ombre d’une caserne à Lhassa, j’avais apprécié la beauté du Tibet, tant celle des montagnes que celle de ses temples (ah ! le Potala !), et compati avec la misère de son peuple. Les écrits de son leader spirituel m’ont beaucoup appris sur la non-violence, grâce en partie à leur humour, si peu fréquent chez les leaders religieux (Jean XXIII n’en était, lui non plus, pas dépourvu).
Mais on ne peut s’empêcher de penser que le Dalaï-Lama est dans une situation en porte-à-faux et que sa démission comme leader politique des Tibétains, qu’il brandit actuellement comme une menace, arrangerait beaucoup de choses. Sa position ambiguë l’empêche de jouer quelque rôle constructif politique pour la paix en son pays, car un gouvernement communiste chinois n’acceptera jamais le retour au Tibet du dernier leader théocratique, exilé en 1959. En abdiquant son leadership politique, le Dalaï-Lama donnerait le signal clair à ses compatriotes de séparer dorénavant le politique du religieux, atténuant ainsi les heurts compréhensibles du rationalisme chinois avec une civilisation aussi liée au spirituel.
Alors, faut-il boycotter les Jeux Olympiques ? Saluons l’hypocrisie de cette question, relayée complaisamment par tous les médias : Radio-Canada vient aujourd’hui d’y consacrer la moitié de la première heure de C’est bien meilleur le matin. La Presse du 20 mars avait aussi accordé la permission à ses journalistes d’enfin se lâcher « lousses » sur une question de paix : sept pages du premier cahier, battues il est vrai par les onze pages sur « les sportifs de la paix » le 25 mars [le fils de Patrick Roy avait pété sa coche sur un gardien de buts] ! Comparons ces espaces avec les pauvres paragraphes consentis à la discussion du prolongement de la guerre en Afghanistan jusqu’en 2011… Les dirigeants médiatiques, et là-dessus nous rejoignons les critiques chinoises, ont trouvé dans la cause du Tibet une façon idéologique pusillanime et sans conséquences de brandir un flambeau « pacifiste », tout en persistant à ne jamais remettre en cause l’augmentation des exportations d’armes occidentales en Afrique ni les guerres en Afghanistan et en Irak. Ces dernières auraient fait au moins mille fois plus de morts civils dans les trois dernières années, que la Chine n’en a faits au Tibet. C’est la parabole de la paille dans l’œil de l’autre qu’on fustige, alors qu’on ignore la poutre dans le nôtre. En fait, la Chine ne serait-elle pas justifiée de boycotter nos athlètes ? Cet argument montre bien les limites tactiques du boycott et de ses effets possibles boomerang.
Cela dit, la situation des Tibétains reste révoltante et il faut protester en leur faveur, puisque eux-mêmes sont interdits de manifestation. Une sympathie québécoise est naturelle à leur égard, petit peuple de six millions dont la métropole est peuplée à majorité d’une population qui parle une autre langue que le tibétain ! En 1993, une personnalité de Shanghaï, qui me faisait miroiter en Chine des master class et récitals, avait lié son projet alléchant et rémunéré à une renonciation de ma part à joindre la Caravane de paix au Tibet : le sacrifice de cet engagement fut fait selon ma conscience individuelle. Par contre, à titre de président des Artistes pour la Paix, je ne me sens actuellement pas justifié de lancer un mot d’ordre de boycott, qui de toute façon ne sera jamais suivi par les hommes d’affaires et ne pénaliserait que les sportifs et artistes idéalistes. J’inciterais cependant les athlètes canadiens à se munir, dans leurs bagages, d’écharpes de soie indienne blanche à nouer autour de leur cou lors des cérémonies de remises de médailles. Ces foulards, récompenses traditionnelles accordées par le Dalaï-Lama lors des rassemblements de ses fidèles, ne peuvent, aux yeux du Comité international olympique, constituer une offense à ses règlements, étant vierges de tout slogan.
Nous sommes conscients que ces éléments de pistes pour la paix irriteront les deux parties impliquées, mais n’est-ce pas à ce signe qu’on reconnaît des idées fructueuses de médiation ?
Pierre Jasmin
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