Les Artistes pour la Paix sont émus par les innombrables appels à la liberté qui secouent (enfin!) les dictatures du monde arabe en s’étendant vers le Soudan et le Yémen au sud et vers la Syrie au nord, la Jordanie et les Émirats arabes unis à l’est, jusqu’au Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) à l’ouest, avec, bien sûr, les manifestations en Égypte au centre des préoccupations internationales.
Le courage des manifestants en ce dernier pays se mesure face aux violences du Lumpenproletariat engagé par le régime en fin de vie : elles ont failli attenter à la vie de nos plus chers journalistes, Michèle Ouimet et Jean-François Lépine. Les espoirs risquent donc d’être déçus par la longue tradition égyptienne de confier les rênes du pouvoir à des militaires : Nasser, Sadate, Moubarak et maintenant Souleiman.
Beaucoup de journalistes discréditent Mohamed ElBaradeï, parce qu’il n’aurait pas derrière lui la base militante des Frères musulmans, ni le charisme de militaires comme Nasser. Au moment où les populations arabes rejettent des régimes corrompus comme celui de Ben Ali en Tunisie, n’y a-t-il pas des gages de résistance à la corruption dans le mandat de direction à l’Agence d’énergie atomique internationale qu’a vécu ElBaradeï, à qui on a accordé le prix Nobel de la Paix (2005)? Il a su résister aux pressions conjuguées des Blair et Bush qui avaient monté des supercheries afin de persuader le monde entier que l’Irak était en possession d’un « armement nucléaire ». Il faut voir les films de Roman Polanski et de Doug Liman : The ghost writer, inspiré par le sinistre Tony Blair, et Fair Game, calqué sur le fait vécu par l’agente de la CIA Valerie Plame (interprétée par Naomi Watts), dont le mari diplomate (joué par Sean Penn) avait eu le courage de démentir ce que Bush aurait voulu présenter comme un fait avéré, c’est-à-dire le transfert d’uranium du Nigéria à l’Irak de Saddam Hussein! Cette résistance à la corruption au bénéfice de la vérité par ElBaradeï est précisément ce qui fait défaut aux dictatures contestées et, pourquoi pas l’avouer, à tant de nos dirigeants élus démocratiquement… Pour prolonger ces courtes notes sur la corruption en Égypte, on lira l’immeuble Yacoubian d’Alaa El-Aswany (Actes Sud 2005) ou, du moins, on en verra comme je l’ai fait la version filmée par Harwan Hamed (2006).
Mais le problème fondamental des pays mentionnés et ceux au-delà, tels l’Afghanistan et le Pakistan, c’est, selon nous pacifistes proches des féministes, la place qu’on y refuse aux femmes et à ce qu’elles représentent pour des artistes comme nous : l’émotion, la sensibilité, l’amour et l’attachement aux êtres autant qu’aux idées, loin de tout dogmatisme ou fanatisme religieux. C’est la place qu’ont revendiquée avec un émouvant cri de détresse hélas ignoré, les jeunes de la Bande de Gaza dans un manifeste (décembre 2010) où ils s’estimaient trahis par leurs concitoyens du Hamas et par Abbas, et bien sûr, violemment punis par Israël, avec la complicité des puissances occidentales, sans compter la perfide trahison de l’Égypte.
C’est cette place que revendique haut et fort le théâtre de Wajdi Mouawad, artiste pour la paix 2006, revendication reprise de façon si inspirée par Denis Villeneuve dans Incendies (2010), dont la sélection comme candidat ultime à l’Oscar du meilleur film étranger (2011) et aux honneurs des prix Génie démontre à quel point a touché juste sa charge extraordinaire portée par ses deux actrices fabuleuses : Lubna Azabal et Mélissa Désormeaux-Poulin. Si nos archives contiennent un article exprimant tout le bien qu’on avait pensé de Polytechnique, avec d’infimes réserves (voir dossier du contrôle des armes à feu), nous tenons maintenant à signifier à Denis Villeneuve notre entière admiration pour son film exceptionnel!
Pierre Jasmin
alors président des Artistes pour la Paix
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