Aux antipodes l’une de l’autre, deux fables amérindiennes, Maïna et Trois histoires d’Indiens, racontées par des Blancs, viennent tour à tour d’atterrir sur nos écrans et méritent bien des éloges, en premier celui de s’être attaqués à un sujet cher à notre défunt Arthur Lamothe (voir son hommage posthume p=4903).

Depuis que la plupart des grands films épiques hollywoodiens se résignent peu à peu à évacuer les insipides Tom Cruise, Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone qui avaient accaparé trois ou quatre décennies de films violents, on assiste dans les deux dernières années à leur singulière prise en charge par de jeunes héroïnes flamboyantes menant la révolte réjouissante de l’humanité contre des dirigeants despotiques. Ma fille de quinze ans, à son grand plaisir, a revu Divergence avec Shailene Woodley, comme elle avait adoré les deux premiers Hunger Games avec Jennifer Lawrence, dont elle attend avec impatience le double dénouement, malgré le suicide d’un des acteurs clés, le brillant et regretté Philip Seymour Hoffmann.
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Incidemment, à ceux qui détestent le nouveau premier ministre du Québec, nous répétons : « n’oublie pas qui est l’ennemi», bien installé à Ottawa…

Michel Poulette a courageusement consacré plusieurs années de sa vie à filmer les paysages grandioses du nord de notre pays pour recréer la vie des Innus et des Inuïts, avant l’arrivée des premiers colons Français dans son splendide Maïna. Roseanne Supernault interprète cette héroïne inventée par Dominique Demers, à laquelle elle prête des traits innus, dont cette désarçonnante capacité de rire, même dans des moments tendus. On a reproché à cette fresque qui plaira sûrement à l’Europe avide de nos grands espaces de se complaire dans une vision trop idyllique, accentuée, il est vrai, par la musique de Michel Cusson (qui nous avait habitués à davantage de caractère). Et pourtant la violence habite les premiers moments du film de façon réaliste et l’entente entre la femme innue et l’homme inuït fleurit malgré des obstacles culturels, sociaux et géographiques bien énoncés, quoique trop sagement : le froid et la faim marquent la chair et les caractères de façon plus mordante (l’image du chien qui s’attaque à une fourrure dénuée de chair dans le film de Robert Morin en témoigne de façon éloquente!). La dernière image du film montre Maïna et son ravisseur Nataq désormais unis, en train de contempler une caravelle française sur le point d’aborder leur rivage : cette image incongrue nous rend encore plus perplexes que les deux autochtones…

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La dernière image du film de Robert Morin, un Walmart secoué par une explosion, nous semble pareillement plaquée et artificielle, surtout dans un film marqué par une approche hyperréaliste, on pourrait dire expressionniste. D’ailleurs, l’interprétation musicale des chefs d’œuvre en contrepoint aux monstrueux crachements de fumées par des camions rivaux emprunte ce mode expressionniste pour nous révéler des Ravel, Berlioz, Wagner et Bartók qui enchantent le monde déprimant d’un des protagonistes de ces Trois histoires d’indiens.

Morin n’a pas jugé utile, cette fois, de charger son film de la dimension cynique qui plombait ses très efficaces Journal d’un coopérant et son dernier, Quatre soldats. C’était inutile vu les terribles images de la réserve du Lac Simon et de ce personnage fascinant, victime du syndrome d’alcoolisme fœtal (« quand je suis arrivé au monde, j’étais mort-né »). Sa résilience de patenteux obstiné nous séduit entièrement malgré sa laideur repoussante. Il en acquiert un charisme qui n’a pas échappé aux caméras du wapikoni mobile. religion

Même les trois indiennes subjuguées par leur culte excessif rendu à Kateri Tekakwitha sont filmées à la Rossellini, sans parti pris pour ou contre leur religiosité malsaine. On sait gré à Morin de cette objectivité exemplaire, résultat de quatre ans à l’affût avec sa caméra, à filmer comme un documentaire la survie dans des conditions cauchemardesques de ces trois histoires d’Indiens…

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Et dans leurs logements délabrés et encombrés de détritus sordides, Morin va jusqu’à filmer ces victimes de l’apartheid de notre société blanche en train de regarder à la télé, avec une compassion un peu ahurie, leurs soeurs et frères Palestiniens sur lesquels des soldats israéliens tirent de leurs carabines.

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Trois histoires d’Indiens prennent en outre le temps de contempler la nature, non pas le cliché, aux yeux de Robert Morin ci-contre, de son immensité de forêts et de rivières, mais le miracle de patineuses sur un étang qui dégèle, d’un orignal perruqué de givre qui déguste une branche d’arbuste, d’un raton-laveur qui se gratte, du soleil qui se couche et du chien d’Érik Papatie qui partage son lit avec tous les fils et batteries nécessaires à son métier de patenteux. On ressent la sympathie du réalisateur et sa tendresse face à ses trois sujets principaux et on ressort émus, quoique troublés par le sordide. De Maïna, on ressortait émus aussi, mais avec le sentiment d’avoir été légèrement manipulés par son parti pris de beauté…

Et la paix? Elle a besoin de ces deux aiguillons pour motiver les êtres humains à y travailler: le sordide qu’on veut dénoncer et changer de toutes nos forces d’artistes, et le rêve pour camper la beauté que nous désirons voir s’installer…

Il faut voir aussi UVANGA, un film très réussi de Marie-Hélène Cousineau et Madeline Piujuk Ivalu filmé à Igloolik sur l’île de Baffin où un fils revient sur les lieux de son origine en cherchant l’identité de son père mort en des circonstances mystérieuses. Comme chez Morin, le film trace un portrait non complaisant de la communauté inuïte, sans se priver des magnifiques paysages sous le soleil de minuit qui avaient séduit Glenn Gould.