Chers Nathalie Gressin et André Desrochers, amiEs artistes et journalistes,
Tshish pitenimeuk eku minuateuk, ce qui veut dire en innu : « nous avons grand respect pour vous et nous vous aimons ».
Réuni le 4 novembre 2013, notre conseil d’administration a décidé de décerner un 3e hommage posthume, après ceux accordés à Hélène Pedneault en 2010 et l’an dernier à Magnus Isaacson, documentariste collaborateur de Martin Duckworth, notre APLP 2002.
Cet hommage va à un autre ami de Martin, le cinéaste Arthur Lamothe. Membre de notre conseil dans les années 80, Arthur insistait avec noblesse que tout organisme de paix du continent devait inscrire comme premier objectif la réconciliation avec les Amérindiens, si maltraités de la Terre de Feu jusqu’au cercle arctique. Se souvenant de leurs travaux communs avec Pierre Perreault (nous avons le privilège ce matin d’accueillir sa veuve), son ami Jean-Daniel Lafond l’a bien compris en érigeant les objectifs de la Fondation Michaëlle Jean (Michaëlle ayant dû partir en Afrique un jour plus tôt que prévu, Jean-Daniel nous prie d’excuser son absence, sa présence à Ottawa auprès de Marie-Éden devenant de ce fait inévitable et naturelle).
Arthur avait courageusement porté cet engagement envers les amérindiens pendant la Crise de Kanehsatakeh, allant offrir avec Gilles Carle et Dimitri Roussopoulos au nom des APLP des courges, des fèves et du maïs en symboles de solidarité à Myra Cree, APLP 2004 et autres femmes mohawks pacifistes. Ces femmes, qui distribuaient des gifles autant à des policiers de la Sûreté du Québec qu’aux Warriors trop excités, luttent toujours pour la paix, dans une communauté profondément divisée.
Arthur fut de notre grand spectacle au Spectrum organisé par notre président d’honneur Richard Séguin devant les chefs syndicaux en 91. Il avait aussi filmé Kashtin dans un autre spectacle des APLP devant une dizaine de milliers de spectateurs, non loin du parc Jarry et de la sculpture de Linda Covit sous laquelle on avait enterré les jouets de guerre donnés par une dizaine de milliers d’enfants en symboles de démilitarisation.
Son film sur l’art amérindien L’écho des songes a la délicatesse de nous remercier au générique et nous nommerons Florent Vollant APLP 1994. Le titre de son film, le silence des fusils, rare non documentaire, fait de plus référence à une thématique porteuse de l’action pacifiste des APLP, jusqu’en Haïti.
Modèle exigeant d’artiste engagé pour la justice sociale, Arthur avait perçu dès son arrivée au pays le drame des Québécois et son film le mépris n’aura qu’un temps, daté de 1970 aurait dû, cette année-là, constituer la seule digne réponse au speak white des Rhodésiens de Westmount, devant qui s’aplatventrissaient certains colonisés canadiens français.
C’est en filmant les Innus qu’Arthur a initié la longue démarche historique d’une reconnaissance encore plus ardue, puisque son film La Conquête de l’Amérique sera censuré par l’Office National du Film pendant seize ans! Sa vision bousculait notre perception, celle de l’Histoire imposée par le haut-clergé duplessiste revendiquant ses mythiques martyrs Brébeuf et machin, d’identité blanche et catholique apostolique, vision heureusement appelée à changer avec le pape François (voir article pape, jésuite et franciscain ci-dessus). Et loin du regard européocentriste cher aux frères Bouchard et surtout à l’opposé des indécentes prétentions des Blanchet-Moulinsart ou Desmarais-Sagard singeant l’aristocratie élitiste du vieux continent, Arthur choisissait courageusement, au contraire de ces visions passéistes, de s’identifier à ceux que des tenants racistes de la haute société ont longtemps dénigrés comme Sauvages impurs, Indiens, indigènes, amérindiens puis autochtones.
Aujourd’hui, il faudrait rendre hommage au moins à une douzaine d’autres artistes ou intellectuels:
– feu notre secrétaire Bruno Roy, revendiquant une place dans la société pour les Orphelins de Duplessis et parmi eux, pas mal de métis comme lui-même et d’anciens pensionnaires indiens abusés,
– René Derouin, découvrant sa fière nordicité au contact de l’art indigène de Mexico (ne manquez pas son exposition à la Grande Bibliothèque et à Festival en Lumière),
– Richard Desjardins se faisant le champion des Algonquins dans un film trop peu vu,
– le compositeur Gilles Tremblay APLP1992 composant Avec, wampum symphonique interprété par l’OSM pour réconcilier le Québec post-crise du petit golf avec les Mohawks,
– les Biz (Loco Locass), Élisapie Isaac, les chanteurs et danseurs mohawks, ainsi que notre président d’honneur, Richard Séguin se produisant le 26 avril dernier dans le cadre de la Commission Vérité et Réconciliation, avec Florent Vollant, Artiste pour la Paix 1994, au Grand Salon de l’Hôtel Reine-Élizabeth.
– Chloé Sainte-Marie APLP2009 à la salle Maisonneuve de la Place des Arts le 23 avril 2013 avec un spectacle 100% amérindien, en ligne avec la découverte du sang mêlé par son aimé Gilles Carle,
– Manon Barbeau créant ses merveilleux wapikoni mobiles dont le premier ministre Harper a saboté le financement, heureusement repris par la société civile
– et les anthropologues Rémi Savard et Serge Bouchard connu pour sa série à Radio-Canada des Remarquables oubliés et pour ses propos dans le beau film actuel Québékoisie.
Par leur art ou leurs mots, tous ces artistes identifiés dans cet article et bien d’autres nous ont enseigné la fierté de nos ancêtres, ayant façonné notre identité métissée; ils nous ont légué leur matrimoine visible à travers nos valeurs québécoises de matriarcat à la mohawk, d’entraide, de coopération et d’accueil généreux et ouvert aux immigrants et aux réfugiés.
Nous sommes heureux de vous remettre ce parchemin, chère Nathalie Gressin, en modeste hommage pour Arthur Lamothe et ce qu’il fut pour nous tous ici réunis, y compris André Desrochers, assistant qu’Arthur considérait un peu comme son fils.
Pierre Jasmin
ce texte-discours épouse la cause d’Arthur avec un ton polémique que ne revendique pas la totalité des membres du conseil d’administration des APLP
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