Les faits brutaux
Selon l’agence France-Presse, une attaque sanglante non revendiquée a eu lieu dans un quartier de Kaboul peuplé majoritairement par des chiites hazaras, souvent pris pour cible par des militants islamistes sunnites et par des Talibans. Le porte-parole du Ministère afghan de l’Intérieur, Tariq Arian, a précisé à la presse qu’une voiture piégée avait explosé, samedi le 8 mai, devant l’école Sayed Al-Shuhada, et que deux autres bombes ont été activées au moment où les élèves, paniquées, se précipitaient dehors. (…) De même en mai 2020, un groupe d’hommes armés avait attaqué en plein jour une maternité soutenue par Médecins sans frontières (MSF), tuant vingt-cinq personnes, dont seize mères et plusieurs nouveau-nés. MSF avait sagement décidé par la suite de quitter leur projet trop identifié à une intervention colonialiste.
Le contexte historique : femmes afghanes AVANT la « victoire » américaine
Sans excuser le moindrement la barbarie de tels attentats sur laquelle nous reviendrons, une telle identification est hélas courante dans un pays traumatisé, constamment menacé et occupé par des puissances étrangères depuis la proclamation de leur République en 1973.
La veille de l’attentat, macabre coïncidence, les faits historiques suivants concernant les femmes afghanes, traduits et inscrits sur le site des Artistes pour la Paix avant qu’on connaisse l’horrible nouvelle, furent publiés par Globetrotter, conjointement signés par les éminents Noam Chomsky et Vijay Prashad :
« Rasil Basu, qui a dirigé le Centre des Nations Unies pour l’avancement des femmes avait aussi été conseillère séniore pour le développement des femmes au gouvernement afghan de 1986 à 1988. La Constitution Afghane de 1987 accordait aux femmes des droits égaux, leur permettant de lutter contre les us et coutumes patriarcales et de se battre pour l’égalité au travail, comme à la maison. Il s’agissait de gains substantiels pour les droits des femmes, accompagnés d’une montée de leur taux d’alphabétisation. Tous ces gains ont été annihilés par la guerre des États-Unis [et de l’OTAN, y compris le Canada] pendant les deux dernières décennies.
Avant même le retrait de l’URSS en 1988-89, des hommes qui se positionnent pour le pouvoir actuellement – comme Gulbuddin Hekmatyar – annonçaient qu’ils élimineraient ces gains. Basu se souvient des shabanamas, ces avis qui circulaient auprès des femmes en les sommant d’obéir aux normes patriarcales. Elle a donc soumis son opinion avertissant de cette catastrophe [on parle ici du rejet des femmes dans un éventuel pouvoir afghan, sans même anticiper l’horrible féminicide d’hier] les New York Times, Washington Post et Ms Magazine, qui l’ont tous rejetée.
Le dernier chef de gouvernement afghan communiste – Mohammed Najibullah (1987-1992) avait proposé une Politique de Réconciliation Nationale, qui aurait mis les droits de la femme en tête de liste de l’agenda. Elle fut rejetée par les Américains et leurs alliés Islamistes, dont plusieurs attendent d’intégrer les futures autorités. »
Combien de féminicides avant de remettre en question la violence politique ?
Il a fallu trente ans pour que les meurtres de Polytechnique soient identifiés comme féminicides. Hier soir, au gala Artis, on a interrompu les réjouissances pour dénoncer les dix féminicides perpétrés dans les quatre premiers mois de l’année au Québec, qui ont enclenché une réaction concertée bienvenue de la part des ministres Geneviève Guilbeault et Isabelle Charest. Quelle culpabilité collective a retenu TVA de ne pas avoir intégré le monstrueux féminicicide afghan survenu la veille ?
Permettez à un pacifiste qui a travaillé depuis plus de trente ans au combat civil contre les mines anti-personnel de s’avancer maintenant sur un terrain miné. Il ne s’agit pas de clamer stérilement que nous avions raison, mais de demander simplement aux artistes et à leurs amiEs de rejoindre notre association pour que nos cris plus forts soient entendus des médias et surtout du gouvernement canadien, qui ne répond plus à nos lettres depuis l’exclusion du pouvoir du ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion.
Le 16 avril dernier, Les Artistes pour la Paix dénonçaient, en exclusivité hélas sur leur site et dans l’Aut’Journal, les faits que « les États-Unis ont déployé en Afghanistan chaque année jusqu’à 100 000 soldats (record en 2011, sous Barack Obama). Leur retrait par le président américain Biden sonnera le glas de l’opération lamentable Resolute Support de l’OTAN qui avait encore en 2019 16 500 militaires déployés de 38 pays différents, dont 8000 Américains, 1300 allemands et 1100 Britanniques. Chez nous, Trudeau s’était retiré du guêpier où le général Hillier avait, avec la bénédiction de Harper, enfoncé les troupes canadiennes (let’s kill those afghan scumbags!), causant ainsi à Kandahar une grande part de leurs 159 morts entre 2001 et 2014. Des chercheurs de l’Université Brown évaluent à 6400 milliards de dollars américains le coût total des guerres antidjihadistes menées par les États-Unis en Irak, Syrie et Afghanistan. »
L’ONU estime à autour de 70 000 (nouvelle estimation plus conforme) le nombre de morts afghanes à peu près jamais évoquées par les médias des pays coupables de l’invasion. Nous est-il permis de conclure sans cynisme en déplorant simplement qu’en clamant, avec une ignorance rare de notre armée misogyne et une inconscience totale de la mentalité afghane, comme Chrystia Freeland l’a fait en tant qu’ex-ministre des Affaires étrangères, que nos interventions militaires canadiennes avaient un but féministe, on a ainsi agité un chiffon rouge devant des brutes islamistes dont on ne veut pas diminuer l’irresponsabilité meurtrière, puisqu’elles ont, selon les faits évoqués, perpétré le plus horrible féminicide dans l’histoire humaine, celui du 8 mai? Et j’écris ceci, consterné, après avoir consacré plus de deux cents heures de travail ardu à un diaporama optimiste rendant grâce à une centaine de féministes pour l’évolution pacifique favorable du monde. Amère América.
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