La Chine se compare avantageusement à nos politiques guerrières
Il y a bientôt deux ans le 5 avril 2019, devant sa congrégation en Géorgie, Jimmy Carter à 94 ans révélait sa conversation avec Donald Trump, inquiet de constater que la Chine était en train de devancer les États-Unis : « C’est vrai et savez-vous pourquoi ? J’ai normalisé nos relations diplomatiques avec Pékin il y a quarante ans. Depuis 1979, savez-vous combien de fois la Chine a été en guerre avec qui que ce soit ? Pas une seule fois. Et nous sommes restés en guerre. Les États-Unis sont la nation la plus belliqueuse de l’histoire du monde, parce nous avons tendance à imposer nos valeurs américaines aux autres pays. La Chine, elle, investit ses ressources dans ses infrastructures telles que les chemins de fer à grande vitesse qui couvrent 18 000 milles [wikipedia : les lignes ferroviaires à grande vitesse chinoises couvrent à la fin 2020 plus de 38 000 km – plus de 80 % du total mondial]. Combien de milles avons-nous ? » « Aucun », a répondu la congrégation. « Nous avons gaspillé 3 000 milliards de dollars en dépenses militaires. La Chine n’a pas gaspillé un cent pour la guerre, et c’est pourquoi elle est en avance sur nous dans presque tous les domaines. Et si nous avions pris 3 000 milliards pour les mettre dans les infrastructures américaines, on aurait un chemin de fer à grande vitesse. On aurait des ponts qui ne s’effondrent pas. On aurait des routes correctement entretenues. Notre système éducatif serait aussi bon que celui de la Corée du Sud ou de Hong Kong [Carter aurait dû mentionner un système de santé aussi bon que celui du Canada].
En 2016, alors que le ministre de la Guerre Harjit Sajjan refusait le mémoire des Artistes pour la Paix pour imposer sans entrave son budget de $100 milliards d’acquisition d’armes agressives (bateaux de guerre Irving/Lockheed Martin et chasseurs-bombardiers), Trudeau déclarait qu’un écotrain électrique Québec-Windsor coûtait trop cher, pourtant estimé alors à 20 milliards de $, pour rester dans la thématique soulevée par Carter. Mais surtout, combien de $ auraient assuré l’eau potable aux Premières Nations, suggérions-nous ? Les armes que nous construisons multiplieront les réfugiés : 80 millions d’individus (parmi lesquels des Ouïghours), dit le Haut-Commissariat pour les Réfugiés de l’ONU, à qui je viens de donner 200$. Ces réfugiés, en frappant aux portes de l’Occident, enflent la réaction raciste d’extrême-droite, alors que nos députés fédéraux continuent de se taire à propos des dépenses militaires agressives d’un ministre sexiste incapable de choisir un chef d’état-major non impliqué dans un cas d’intimidation sexuelle.
La Chine affairiste conservatrice
Bruce Livesey du Guardian attaquait le 1er juin 2018 les $12 milliards décidés par Trudeau en vue de la nationalisation de Kinder Morgan: « Le désir féroce de Trudeau de construire le pipeline à n’importe quel coût » [s’oppose] bizarrement au fait que l’oléoduc acheminera du pétrole non raffiné aux États-Unis et en Chine, ce qui coûtera à l’économie canadienne l’avantage d’emplois de raffineries (où la majorité des emplois pétroliers se trouvent) et accroîtra le phénomène de leurs fermetures. Sans compter que le développement des sables bitumineux forcera le Canada à rater, par une marge catastrophique génératrice de réchauffement global, ses engagements à la COP21 de 2015 de réduire ses émissions à gaz à effet de serre de 30% pour 2030. La logique trudeauesque procèderait du Canada-China Foreign Investment Promotion and Protection Agreement (Fipa), négocié par le gouvernement Harper sans être passé par un vote du Parlement et qui restera en vigueur jusqu’en 2045 (l’ONU s’est objectée à ce genre de deals secrets forcés par des multinationales échappant aux lois mondiales): l’entente assurait à la Chine qu’un pipeline serait construit à partir de l’Alberta jusqu’en Colombie-Britannique, en « récompense » de ses lourds investissements dans les sables bitumineux. Car la Chine a acheté en 2009 60% de 2 projets et surtout en 2013, à travers le CNOOC (contrôlé par l’état chinois), la 3e compagnie pétrolière du Canada, NEXEN, au coût de 15.1 milliards de $ !
Mais ce sont pourtant les Conservateurs du Canada qui ont concocté hypocritement la motion accusant la Chine de génocide ouïghour, alors qu’elle se défend en disant préparer la route de la soie ferroviaire profitant à l’économie du Xinjiang. Il serait intéressant de procéder à un sondage non biaisé montrant l’opinion des Ouïghours face à ce projet économique porteur d’emplois de qualité (contrairement au projet de GNL-Saguenay). Il n’en reste pas moins que les Chinois sont sur la scène internationale des affairistes conservateurs, à l’image de son praesidium suprême qu’on voit en réunion d’un millier de mâles en costumes d’affaires, avec ici et là des femmes en trop petit nombre pour pouvoir influencer humainement et démocratiquement Xi Jinping.
La Chine et l’ONU, un tableau contrasté
D’une part, la Chine n’a pas écouté l’ONU appelant à des « changements transformateurs » pour éviter “d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier”. Cette alerte de l’historique rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, élaboré par 145 experts issus de 50 pays au cours de trois ans, avec des contributions additionnelles apportées par 310 autres experts, visait à protéger un million d’espèces menacées d’extinction, dont des espèces d’écosystèmes envahis par un développement économique ne tenant pas compte de ses impacts sur la nature. Il est facile mais tentant d’accuser Wuhan, foyer présumé du Coronavirus, de ne pas avoir tenu compte des recommandations de la plénière de l’IPBES, réunie du 29 Avril au 4 mai 2019 à Paris.
D’autre part, les dernières informations biaisées par The Economist montrent la montée d’une attaque concertée voulue par les puissances guerrières occidentales contre l’ONU et ses Casques Bleus (nos nombreux articles ont lancé l’alarme à ce sujet). Richard Gowan supervise le travail de plaidoyer du International Crisis Group aux Nations Unies, en liaison avec des diplomates et des fonctionnaires de l’ONU à New York. Son article nuancé récent montre une Chine timidement engagée dans des unités de Casques Bleus, par exemple au Soudan : pourquoi faut-il que cet engagement positif entraîne, au lieu de l’approbation, la méfiance du Canada et des États-Unis qui ont tous deux réduit leurs contributions aux Casques Bleus à d’infinitésimales unités policières, principalement? Heureusement, le Groupe des 78, Walter Dorn et Peggy Mason répondent au Canada aux attaques contre les Casques Bleus avec des faits qui démontrent leur nécessité. Est-ce que M. Trudeau écoute ?
La sinophobie nord-américaine
Un millier de personnes se sont rassemblées au centre-ville de Montréal au premier jour du printemps 2021, à l’initiative du Groupe d’entraide contre le racisme envers les Asiatiques et de l’organisme Chinois progressistes du Québec. Le groupe femmes de diverses origines est alarmé par le statut précaire des immigrantes asiatiques, par les sept féminicides en six semaines, par les fusillades dans des salons de massage asiatiques à Atlanta qui ont fait huit morts, dont six femmes d’origine asiatique et par de nombreux actes de vandalisme perpétrés dans le quartier chinois de Montréal. Selon Le DEVOIR (article de Sarah Champagne), la conseillère de la Ville de Montréal Cathy Wong a affirmé que cette marche est un devoir d’histoire et Bochra Manaï, première commissaire à la lutte contre le racisme à Montréal, a insisté sur l’aspect systémique, alors que le ministre responsable de la Lutte contre le racisme présent, Benoit Charette, s’est vu reprocher de ne pas reconnaître le racisme « systémique ». M. Ian Lafrenière, ministre responsable des Affaires autochtones, s’était fait mettre en boîte par Patrick Huard à TVA dans son excellente émission La tour et Pierre-Yves Lord a magistralement renchéri sur ce racisme systémique non reconnu dans une entrevue récente avec Melissa Mollen-Dupuis d’Idle no more.
À mon avis, on ne peut nier que le racisme anti-chinois s’est vu envenimé par la politisation de l’affaire Meng Wanzhou (lire mon article La peur du péril jaune est encore bien vivante) à qui certains ont reproché de ne pas appuyer les deux Michael emprisonnés en Chine. On l’avait pourtant fait le 24 juin dernier.
Il est affligeant que Radio-Canada s’appuie, jour après jour, sur les radotages de l’ancien ambassadeur en Chine St-Jacques pour nous servir une propagande anticommuniste primaire qui ne fait que mettre de l’huile sur le feu. On ne peut que comprendre, sans l’approuver pour autant, l’interdiction de séjour chez eux adressée par la Chine le 26 mars au député conservateur Michael Chong, auteur de l’irresponsable motion des parlementaires canadiens accusant la Chine de génocide.
David Gehl – 12 avril
La guerre froide avec la Chine coûte cher aux agriculteurs des Prairies
Selon un rapport récemment publié par le Conseil canadien du canola, les relations avec la Chine se sont détériorées depuis l’arrestation en décembre 2018 de Meng Wanzhou, qui a coûté un milliard de dollars ou plus aux agriculteurs des Prairies. Au cours de la période du 6 mars 2019 au 31 juillet 2020, les pertes subies par les producteurs canadiens de canola s’estiment à entre $681 millions et $1,3 milliard en ventes perdues et en prix plus bas. La valeur des exportations canadiennes de graines de canola vers la Chine en 2018 était de 2,8 milliards de dollars. Après l’arrestation de Meng Wanzhou en décembre 2018, les ventes de canola à la Chine sont tombées à 800 millions de dollars en 2019 et à 1,4 milliard de dollars en 2020, de toute évidence en réaction à la détention de Mme Wanzhou par le gouvernement Trudeau/Freeland.
En l’espèce, les intérêts économiques des agriculteurs canadiens ont été sacrifiés pour apaiser le gouvernement américain qui a 1) gravement nui aux relations diplomatiques entre le Canada et la Chine et 2) créé une occasion de marché pour le soja américain que la Chine a acheté pour remplacer le canola canadien. Cela montre qu’une politique étrangère d’asservissement à Washington est souvent contraire aux intérêts nationaux du Canada. Chef de file dans l’ouverture des relations avec la République Populaire de Chine grâce aux ventes de blé initiées par Diefenbaker dès 1960, le Canada, étant alors l’une des premières puissances occidentales à ouvrir des relations commerciales avec la Chine, est aujourd’hui devenu chef de file dans leur détérioration : la servilité aux diktats américains a un prix et il est grand temps que le Canada adopte une politique étrangère autonome!