Les Artistes pour la Paix et Pierre Jasmin

APLP_Année_2020_article

Annabel Soutar, Christine Beaulieu, Pascale Bussières

Cette année, les Artistes pour la Paix décernent leur Prix Artiste pour la Paix de l’année à trois femmes de théâtre exeptionnelles.

Annabel Soutar est la directrice artistique fondatrice du collectif de docu-théatre montréalais Porte-Parole. En 1994, après ses études à Princeton, elle écrivit sa thèse « Of Beauty Born – A Journal of the Creative Process » (De la naissance de la beauté – un journal du processus créatif) de 174 pages, découvrant tout comme Platon que la beauté réside dans la vérité. C’est pour cela que les APLP, toujours à l’affut de la vérité qui se cache derrière la propagande gouvernementale,  apprécient particulièrement Annabel. Elle a déterré les vérités gênantes sur le béton dans sa pièce Sexy béton, toujours d’actualité en ces temps où la cimenterie de Port-Daniel, gaffe monumentale du gouvernement Marois, pourrait être revendue à des intérêts brésiliens. Puis sur le racisme et la brutalité policière dans sa pièce Fredy, qui présageait Black Lives Matter avant son temps et inspira le film Antigone, primé Film canadien de l’année. Et encore sur Monsanto (devenu Bayer), dans la pièce Seeds – l’histoire de la bataille juridique qui dura 7 ans entre le fermier de Saskatchewan Percy Schmeiser et le conglomérat Monsanto Inc.

Seeds3-640x427

Seeds

« Dans une société où les vrais débats sont plus souvent qu’autrement balayés sous le tapis, Soutar et ses complices, inlassablement en quête de vérité, sont rien de moins qu’une bénédiction » écrivait Christian Saint-Pierre de la défunte revue Voir, à propos de Sexy béton créé après la chute d’un viaduc de béton construit à la va-vite.

Sa lutte pour la justice, sans doute inspirée par Bertolt Brecht, est bien illustrée dans cet extrait d’entrevue : « Je crois que ça doit être moins cher, ça doit être moins intellectuel, moins formel. Je crois que les gens peuvent manger du pop-corn dans les théâtres, boire de la bière, hurler pendant le spectacle, se sentir en connexion avec la scène. Je crois que le théâtre existe pour nous rassembler dans le présent, pour créer une démocratie plus puissante, plus humaine ».

Annabel est aussi derrière J’aime Hydro, sacré spectacle de l’année par l’Association québécoise des critiques de théâtre et finaliste du Grand Prix du Conseil des arts de Montréal, diffusé par ICI ARTV : en janvier, une critique de Pierre vantait l’idéalisme « gentil » de la comédienne Christine Beaulieu, notre deuxième lauréate. N’hésitant pas à se présenter d’abord en nounoune non politisée, elle se met sous l’impulsion d’Annabel à la chasse des informations désirées et même non désirées, et rappelons qu’Hydro-Québec a reçu la distinction de l’Association des Journalistes d’être la firme la plus opaque, au secours René Lévesque !

hydro

J’aime Hydro

Au prix de voir contredite son impulsion première, elle aura le courage d’aller la revérifier en voyageant à bord d’une voiture électrique épisodiquement rechargeable tout au long d’un parcours épique qui l’amène sur la Côte-Nord profonde. Ses doutes exprimés à plusieurs reprises de poursuivre l’aventure, bref son humilité non factice, convainquent l’auditeur mieux que tout discours propagandiste unilatéral, forçant notre admiration devant sa résilience et suscitant notre désir de la suivre jusqu’au bout des indispensables cent cinquante minutes consacrées à ce sujet complexe. Tout est remarquable dans ce documentaire théâtral, même le faire valoir Mathieu Gosselin qui caricature l’accent anglais d’Annabel Soutar, car il incarne tous les personnages, même le chef innu Jean-Charles Piétacho réélu depuis trois décennies à la tête de la communauté d’Ekuanitshit : purifiée à la fumée de sauge, Christine Beaulieu y prend conscience de ses propres racines ancestrales, de la terre sur laquelle elle pose ses pieds, de l’air qu’elle respire, de l’eau de la rivière que son copain Roy Dupuis défend par sa Fondation des Rivières, même après son harnachement avec le sacrifice de ses poissons et de ses arbres qui l’ombrageaient.

Pascale Bussières a osé pour Porte-Parole la pièce l’Assemblée qui confronte quatre personnes des réseaux sociaux avec leurs opinions tranchantes et discordantes, une production qui devait reprendre l’affiche à l’Espace GO ce printemps. C’est une création en partie écrite par Alex Ivanovici, le conjoint d’Annabel.

Porte-Parole-18-19-L-Assemblée-Maxime-Côté

L’Assemblée

Pascale Bussières n’a jamais eu peur d’aborder des rôles marquants dès ses treize ans dans Sonatine mettant en scène un pacte de suicide entre deux adolescentes, un film de Micheline Lanctôt qu’elle retrouvera pour deux autres films. Pour Charles Binamé et Fernand Dansereau, elle tournera à la télé en 1993 la suite des Filles de Caleb d’Arlette Cousture, Blanche, puis le film mythique Eldorado en 1995. Catherine Corsini lui fait donner la réplique à Emmanuelle Béart dans la répétition en 2001 : c’est l’année où elle descend dans la rue avec à peine une cinquantaine d’Artistes pour la Paix dont Jean-François Casabonne pour protester contre les bombardements alliés sur l’Afghanistan, pays encore occupé par des troupes alliées des Américains qui ont dépensé avec l’armée canadienne plus d’une centaine de milliards de $ en détruisant le pays qu’elles avaient pour mission de protéger.

En 2015, Pascale tourne successivement Ville-Marie de Guy Édoin, au souffle humaniste peu commun, Anna de Charles-Olivier Michaud sur la dure réalité de la prostitution en Indochine et Les démons, où elle est mère d’un petit garçon de 10 ans en proie à des peurs irrationnelles. Le film tourné par Philippe Lesage exige de ses actrices qu’elles improvisent et on tourne la même scène jusqu’à quinze fois.

Et bien sûr, on connaît Pascale pour ses innombrables rôles à la télévision qui dessinent une vision féministe, non sans humour ni détermination comme ses deux autres camarades de théâtre déjà nommées.