Dans le cadre de la Semaine Laudato si’ qui marque le 5e anniversaire de publication de l’encyclique sur l’écologie intégrale du pape François, les Artistes pour la Paix sont heureux de contribuer par deux textes de Pierre Jasmin sur le compositeur italien Ennio Morricone.

mission

Solidarité chrétienne/autochtone

morriconeVoici deux articles illustrant l’engagement d’un artiste en faveur de la paix, selon ma perception du compositeur Ennio Morricone. D’abord attiré par la musica assoluta inspirée par le dogmatisme de l’École de Vienne, il revient heureusement à la culture populaire italienne dont il est issu. Proche de Nino Rota, son lyrisme m’a toujours ému aux larmes, depuis que je l’ai découvert sur les bancs du cinéma Verdi il y a plus d’un demi-siècle dans les trois premiers westerns de Sergio Leone. Le parti pris de ces films contre toute tyrannie armée a marqué mon adolescence, d’autant plus que leur violence cynique est compensée par une musique généreuse et colorée qui les nimbe d’un idéal d’humanité et de justice sociale harmonieuse, avec ses doux mélismes et ses rythmes scandés par un chœur mâle et divers instruments de percussion inusités.

L’engagement chrétien de Morricone, solidaire des autochtones, me semble bien représenté par un air dont voici deux enregistrements :

1- Cette première version est redevable à Sarah Brightman, qui avait d’abord essuyé un sec refus de Morricone, lorsqu’elle lui demanda la permission de mettre en mots sa célèbre mélodie pour hautbois, thème du film Mission. Elle continua à le harceler pendant des mois, explique-t-elle avec humour, jusqu’à ce que, de guerre lasse, il accepte. Voici ces mots très simples dont la candeur me semble mieux convenir à la toute jeune et naïve interprète américaine de Pittsburg, Jacqueline Marie Evancho :

Nella fantasia io vedo un mondo giusto
li tutti vivono in pace e in onestà
Io sogno di anime che sono sempre libere
Come le nuvole che volano
pien d’umanità in fondo all’anima.

En songe je vois un monde de justice
Où tous vivent en paix et en honnêteté
Je rêve d’âmes qui sont toujours libres
Comme les nuages qui volent,
Pleines d’humanité au fond de leur cœur.

Si vous tenez absolument à entendre madame Brightman, choisissez sa performance livrée au Vatican en 2011, c’est-à-dire DEUX ANS AVANT que les cardinaux élisent, ô miracle, pour la première fois un pape… jésuite ET sud-américain. Le pape François, en hommage de qui Morricone composera sa Missa Papae Francisci de 2012 à 2015, a choisi une vocation de simplicité volontaire résolument franciscaine, en rupture du faste papal.

2- Le film Mission de Roland Joffé, sur un scénario de Robert Bolt, gagnant de la Palme d’Or du Festival de Cannes de 1986, relate comment des Jésuites avaient « conquis » au milieu du XVIIIe siècle le peuple des Guaranis grâce à la séduction de la musique, via la fabrication d’instruments et la maîtrise de l’art choral religieux au complexe langage harmonique préclassique – exemple d’appropriation culturelle croisée (déplorons qu’il y ait eu peu d’efforts de ressusciter cette musique que la musicologue et interprète Geneviève Soly des Idées Heureuses connaît et apprécie). L’armée portugaise attaque en 1756, sur ordre du Vatican, la mission de ces admirables Jésuites personnifiés au cinéma par Jeremy Irons et Liam Neeson, que défendra un soldat mercenaire repenti de ses crimes, Robert de Niro. La version instrumentale suivante d’extraits du film, dirigée par le maître, met en valeur le cor anglais, son instrument privilégié. Quant au titre sur la terre comme au ciel, il répond aux vœux spirituels du Notre père qui ont inspiré les vers imaginés par Sarah.

The Mission • On Earth As It Is In Heaven • Ennio Morricone (2019)

Vous n’échapperez pas à ma morale pacifiste

L’histoire tragique des autochtones du film suscita bien davantage qu’un intérêt fugitif de la part de Morricone, qui a composé les musiques de deux films de Gillo Pontecorvo dénonçant deux expéditions guerrières coloniales, la première attaquant Alger – la Bataille d’Alger 1966, la seconde des indigènes menés par le chef charismatique afro-colombien Evaristo Marquez, aussi fictif que l’armée portugaise impliquée à tort pour ne pas priver la production de fonds espagnols ! Mais nul doute que les Haïtiens étaient le vrai sujet de Queimada (1969), le favori parmi tous ses films de l’acteur engagé Marlon Brando [1].

Il y a tant de résonances contemporaines, ici au Québec où le docteur Julien a repris avec succès en son dispensaire-école de Hochelaga-Maisonneuve les techniques d’el sistema. Or, c’est au Venezuela qu’est né ce système éducatif musical issu des favelas où les enfants ont fabriqué leurs propres instruments à partir de cartons et autres matériaux cueillis dans des décharges. Vous me pardonnerez ma mention, contraire à l’esprit d’el sistema, de « leur mérite d’avoir produit » de grands chefs d’orchestre tel Gustavo Dudamel, dont les prestations à la tête de l’orchestre Simon Bolivar ont suscité les éloges de l’immense musicien Claudio Abbado, sensible à l’idéal communiste (qui fera l’objet de la partie 2 de mon éloge de Morricone).

Aujourd’hui, il n’en tient qu’à vous, lecteurs, pour que soit évité le massacre des Saints-Innocents du Venezuela par Hérode-Trump, avec la complicité des pharisiens Trudeau et Johnson proches de l’imposteur Guaido. Car malgré trop de précédents dans l’histoire sanglante coloniale de l’humanité (n’est-ce pas ainsi qu’on doit juger le potentat Hérode [2] à qui Israël veut rendre hommage de nos jours dans un musée, contre l’opposition palestinienne ?), deux points jouent cette fois en faveur de la paix :

1- l’internet unit les pacifistes qui veulent prévenir une autre intrusion impérialiste en Amérique du Sud, à la condition que vous manifestiez nombreux votre solidarité [3] ;

2- d’autre part le Vatican, par la bouche du pape François, se range désormais du côté des innocents tout comme le Secrétaire-général de l’ONU, incidemment portugais; ils cherchent à les préserver de toute guerre, une option inlassablement poussée par notre richissime complexe militaro-industriel et l’OTAN à son service.


[1] En soutien aux nations autochtones méprisées, il enverra quérir son Oscar de meilleur acteur pour Godfather (1973) par l’Apache Sacheen Littlefeather devant 85 millions de téléspectateurs. On sait par ailleurs en côté sombre de sa personnalité sa complicité avec Bertolucci dans le viol perpétré à l’encontre de Maria Scheider… en direct dans le dernier tango à Paris.

[2] Hérode 1er le Grand, de religion juive, était proche du pouvoir romain qui l’a chargé de régner sur la Judée, après l’effondrement du royaume juif de la dynastie hasmonéenne, à une époque où l’empire romain s’étendait sur presque toute l’Asie mineure (magazine Le Point).

[3] On ne vous demande pas d’endosser la politique de Maduro (libre à vous de le faire aussi !) mais de simplement faire connaître notre campagne pour la paix et la solidarité en signant cette pétition.