Le 2 novembre 2016
Monsieur Pierre Jasmin
Vice-président
Artistes pour la Paix
aplp@artistespourlapaix.org
Monsieur,
Je vous remercie de vos correspondances des 26 août et 20 septembre 2016 au sujet du réengagement du Canada en faveur des opérations de paix des Nations Unies, de la situation sur les plans de la sécurité et des droits de la personne en République turque et dans la région, de la situation des droits de la personne au Royaume d’Arabie saoudite et la vente à ce pays de véhicules blindés légers (VBL) fabriqués au Canada à ce pays, et du vote du Canada contre l’adoption du rapport sur le désarmement nucléaire du Groupe de travail à composition non limitée (GTCNL) recommandant que des négociations sur un traité interdisant les armes nucléaires commencent en 2017.
Le gouvernement du Canada s’est en effet engagé à accroître son soutien aux opérations de paix des Nations Unies tout en redoublant ses efforts de médiation, de prévention des conflits et de reconstruction post-conflit, en vue de contribuer à bâtir un monde plus paisible et plus prospère. Ainsi, le 26 août 2016, le gouvernement canadien annonçait de nouvelles mesures visant à appuyer les opérations de paix des Nations Unies, notamment à travers le lancement du Programme pour la stabilisation et les opérations de paix d’Affaires mondiales Canada ainsi qu’un engagement à déployer jusqu’à 600 membres des Forces armées canadiennes dans le cadre desdites opérations.
Cette annonce traduisait avec force et de manière très concrète la volonté du gouvernement canadien de jouer pleinement et efficacement son rôle en faveur de la paix et de la stabilité mondiales, en s’appuyant tout particulièrement sur sa longue expérience en matière de maintien de la paix, le professionnalisme reconnu de ses personnels civils et militaires, ainsi que sa riche tradition de bilinguisme. Je partage donc entièrement votre enthousiasme à la perspective d’un réengagement du Canada en faveur des opérations de paix des Nations Unies.
Je me réjouis par ailleurs de l’intérêt suscité par la présentation à Radio-Canada Estrie de ma collègue au Développement international et à la Francophonie, Madame Marie-Claude Bibeau. Cette initiative illustre à merveille la dimension éminemment collective et pangouvernementale de notre approche et des efforts déployés en ce domaine.
Dans ma réponse à l’organisation The Group of 78 du 5 août 2016, duquel vous êtes membre, j’ai exposé la position du Canada au sujet de la situation des droits de la personne en Arabie saoudite et de la vente de VBL à ce pays. J’ai aussi exposé la politique du Canada au sujet de la situation au Yémen. Le partenariat qui unit le Canada et l’Arabie saoudite est à la fois complexe et crucial. Lorsque j’ai rencontré le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel Al Jubeir en décembre 2015, et au cours de mes rencontres avec plusieurs représentants saoudiens de haut niveau en mai 2016, à Djeddah, en Arabie saoudite, nous avons discuté des droits de l’homme, mais également des enjeux de sécurité dans la région, de notre résolution commune à lutter contre Daech, des efforts menés par l’Arabie saoudite pour créer, en décembre 2015, une coalition islamique contre le terrorisme, de notre contribution à la réponse internationale à la crise en Syrie, et de la coordination de nos efforts pour aider les réfugiés fuyant les zones de la région touchées par le conflit. L’Arabie saoudite réunit également les partis d’opposition en Syrie, une étape importante vers la résolution politique nécessaire à la crise en Syrie.
S’agissant de la Turquie, le gouvernement du Canada est fermement convaincu que le respect des droits de la personne constitue un pilier fondamental de la démocratie. Le Canada prend note de vos inquiétudes au sujet des violations des droits de la personne commises par les forces de sécurité turques dans le sud-est du pays. À titre d’alliés au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et de membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, tant le Canada que la Turquie ont l’obligation de défendre les valeurs et les principes que ces organisations représentent.
Le Canada prend note des rapports alarmants de Human Rights Watch et d’Amnistie Internationale en ce qui a trait aux événements qui se sont déroulés à Cizre. En tant que gouvernement moderne et démocratiquement élu, la Turquie est responsable auprès de ses citoyens d’assurer une administration impartiale de la justice, notamment le respect de l’application régulière de la loi et la primauté du droit. En outre, en tant que partie au Pacte international relatif aux droits civils politiques, à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à la Convention européenne des droits de l’homme (1954), la Turquie s’est engagée à respecter les droits et libertés de la personne. Le Canada surveille étroitement les questions de droits de la personne dans le monde et demande à tous les États de s’acquitter de leurs obligations internationales.
Le Canada croit qu’un dialogue interethnique soutenu est la clé pour résoudre les différences et maintenir la paix et la stabilité à long terme dans le pays. Toutefois, le Canada est aussi conscient que la Turquie est aux prises avec certains des problèmes les plus pressants en matière de sécurité à l’échelle internationale, en plus de subir les incidences directes de l’instabilité régionale. La Turquie demeure un partenaire important pour le Canada. Le gouvernement du Canada continuera de soutenir le droit de la Turquie de défendre ses citoyens contre les actes de violence et le terrorisme.
Le gouvernement du Canada est aussi inquiet des événements récents en Turquie, et nous continuons de suivre de près la situation qui évolue. Le Canada fut parmi l’un des premiers pays à condamner la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 visant à renverser le gouvernement turc par la force.
J’ai fait des déclarations exprimant les inquiétudes du Canada au sujet de la situation en Turquie. Vous pouvez les lire à http://nouvelles.gc.ca/web/article-fr.do?mthd=advSrch&crtr.mnthndVl=&crtr.mnthStrtVl=&crtr.page=1&nid=1102179&crtr.yrndVl=&crtr.kw=turkey&crtr.yrStrtVl=&crtr.dyStrtVl=&crtr.dyndVl&_ga=1.118417743.73627351.1447083008 et à http://nouvelles.gc.ca/web/article-fr.do?nid=1099789&tp=1&_ga=1.139373045.73627351.1447083008.
Je peux vous assurer que je travaillerai sans relâche pour faire en sorte que notre pays joue le rôle que les Canadiennes et les Canadiens attendent de lui sur la scène internationale. À cet égard, je suis aussi fermement résolu à promouvoir les valeurs universelles des droits de la personne, de la justice et de la démocratie dans le monde entier. Notre gouvernement continuera de défendre les principes de la démocratie en Turquie et dans le monde.
Vous aviez antérieurement recommandé que le Canada se retire de l’OTAN. Le Canada et 11 autres pays ont fondé l’OTAN en 1949 afin de promouvoir la défense collective de ses membres, de maintenir la paix et la sécurité dans la région euro-atlantique et de préserver la liberté des populations dans cette région dans le respect des principes de la démocratie, des libertés individuelles et de la primauté du droit. Ces principes sur lesquels a été fondée l’OTAN demeurent valables. Quand nous examinons les défis internationaux auxquels nous faisons face aujourd’hui, il est clair que l’OTAN est plus importante que jamais. La longue tradition du Canada de contribuer à la paix et à la stabilité internationales par le truchement d’organisations multilatérales telles que l’OTAN continue de bien servir nos intérêts nationaux en matière de défense et de sécurité.
Je vous suis reconnaissant de l’intérêt soutenu que vous portez aux efforts du Canada en matière de non‑prolifération et de désarmement nucléaires. Je tiens à vous assurer que la promotion d’un désarmement nucléaire concret demeure une priorité du gouvernement du Canada. Nous sommes tout à fait conscients des conséquences funestes d’une explosion nucléaire intentionnelle ou accidentelle. Ces conséquences terribles ne font aucun doute. Ainsi, le Canada reste pleinement déterminé à appuyer des initiatives pragmatiques ayant pour objectif d’éliminer les armes nucléaires.
Malheureusement, dans le rapport final, les membres du GTCNL ne sont parvenus à aucun consensus sur la meilleure façon de faire progresser le désarmement nucléaire multilatéral. Le Canada et plus de 20 autres pays aux vues similaires n’ont pas pu appuyer le rapport final du GTCNL sur le désarmement nucléaire. Le Canada estime que la recommandation qui y était formulée serait sans effet, car le rapport recommande que celui‑ci ne contienne aucune mesure pour éliminer toute arme nucléaire, ou pour faire en sorte qu’un futur désarmement soit vérifiable, irréversible et transparent. Les partisans d’un tel traité ont reconnu que les États possédant une arme nucléaire refuseraient de participer aux négociations, étant donné que d’importantes réalités sur le plan de la sécurité géopolitique ont été ignorées dans la recommandation. Selon nous, non seulement cette approche n’amènera pas la destruction d’armes nucléaires, mais elle accroîtra encore davantage les divisions entre les États possédant des armes nucléaires et ceux qui n’en possèdent pas, ce qui pourrait rendre d’éventuels progrès sur le désarmement nucléaire encore plus difficiles.
Comme je vous l’ai indiqué dans mes réponses antérieures, nous croyons que la meilleure approche à adopter en vue du désarmement nucléaire consiste en un processus par étapes, qui comprend la mondialisation du Traité sur la non‑prolifération des armes nucléaires, un Traité d’interdiction complète des essais nucléaires pleinement en vigueur, un traité sur l’interdiction de la production de matière fissile (TIPMF) négocié, et seulement en dernier lieu, une convention interdisant les armes nucléaires.
Malheureusement, il n’existe aucun raccourci. Même si cette approche étape par étape nécessitera du temps et du travail, elle est mieux à même de bâtir la confiance requise afin que les États ne considèrent plus les armes nucléaires comme une nécessité pour leur sécurité, et qu’ils emboîtent le pas vers leur élimination vérifiable.
Dans le cadre de ce processus, le Canada prend les devants en collaborant avec la communauté internationale et les principaux acteurs, en vue d’entreprendre la négociation d’un TIPMF. Nous participons aussi activement à plusieurs initiatives, notamment le Partenariat international pour la vérification du désarmement nucléaire, qui vise à relever les défis techniques associés à la vérification de ce désarmement. Soyez assuré que le Canada continuera de promouvoir activement des approches pragmatiques qui contribuent à l’’atteinte de notre objectif commun d’un monde sans armes nucléaires.
Je vous remercie d’avoir écrit et je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Le ministre des Affaires étrangères,
L’honorable Stéphane Dion, C.P., député
Lettre à l’Honorable Stéphane Dion, 2 novembre 2016
SUJET : participation canadienne aux négociations sur l’interdiction des armes nucléaires
Les Canadiens à travers le pays et bien des pays et individus soucieux de paix à travers le monde sont profondément déçus du vote « NON » avec lequel le Canada a sanctionné la Résolution L.41 du Premier Comité (Nations-Unies). Observant que cette résolution fut appuyée par 123 nations, nous aimerions exprimer notre grande déception au fait que notre pays ne se soit pas AU MOINS abstenu, comme l’ont fait les Pays-Bas, membres de l’OTAN comme le Canada. Nous vous serions très reconnaissants si la position canadienne évoluait au moins vers une abstention lors du vote de décembre à l’Assemblée générale de l’ONU.
Nous aimerions avoir votre confirmation que le vote négatif du Canada ne l’empêchera pas de participer aux prochaines négociations. Comme le Canada a participé activement à Genève aux discussions multilatérales du groupe préparatoire de haut niveau sur le désarmement nucléaire plus tôt cette année, même s’il n’avait pas appuyé la résolution autorisant le processus, nous devrions participer de façon constructive aux négociations qui seront entreprises l’an prochain par l’Assemblée Générale des Nations-Unies.
Notre sens de responsabilité multilatérale exige l’acceptation des processus dûment autorisés, même s’ils ne reflètent pas notre préférence. Ainsi le Canada sera à même de promouvoir ses positions et d’influencer le cours des négociations. Se tenir éloigné de telles négociations priverait le Canada d’exprimer sa voix et exacerberait les divisions déjà évidentes au sein des états signataires du Traité de non-prolifération.
Nous aimerions recevoir votre avis afin de le partager avec nos divers groupes,
Avec nos remerciements pour votre considération sur cet enjeu majeur,
Et avec toute notre sincérité,
Bev Tollefson Delong
Présidente du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire [1]
Traduction : Pierre Jasmin
[1] P. Jasmin est membre de son comité de direction. Nous étions d’ailleurs réunis à Ottawa du 23 au 25 octobre avec Bev Delong, mais aussi Rob Acheson et Peggy Mason à qui nous avons décerné une récompense pour son travail pour la paix.
Je me trompe ? Je trouve les informations et les réponses de M. Dion satisfaisantes. Je peux imaginer les manoeuvres multiples nécessaires à passer un point, une opinion à l’intérieur d’un gouvernement démocratique de notre vaste pays voisin des États Unis. Notre rôle est de penser, de questionner, et d’écrire nos souhaits, nos recommandations importantes via des rencontres et des lettres aux responsables tels que Pierre Jasmin fait si bien et si souvent.
Par contre, nous ne devons jamais baisser les bras.
«On va les avoir à la longue !