Dix recommandations par Les Artistes pour la Paix
- Rejoindre les 139 pays signataires de l’Appel Humanitaire du Ministre autrichien des Affaires étrangères pour abolir les armes nucléaires.
- Écouter les 800 Membres de l’Ordre du Canada qui veulent que leur pays mène une convention internationale contre les armes nucléaires.
- Faire tous les efforts diplomatiques afin de persuader les États-Unis de renoncer à leur projet de mille milliards de $ de modernisation de leurs armes nucléaires.
- Continuer le travail pour l’interdiction du matériel fissile dans le nucléaire civil (8%) mais étendre le travail au militaire (92% du matériel fissile).
- Ne plus aligner le vote canadien sur Israël, le Panama, la Micronésie et les États-Unis (5 votes vs 177 à l’ONU le 7 décembre dernier) : l’Iran et la Syrie ne sont plus (l’ont-ils déjà été?) des menaces nucléaires!
- Écouter le bon sens du Stockholm International Peace Research Institute d’au moins sept recommandations énoncées le 30 novembre par Tariq Rauf.
- Signer le Traité sur le Commerce des Armes et annuler le contrat des blindés ontariens à l’Arabie Saoudite selon les vœux d’Amnistie Internationale, Oxfam, Daniel Turp (UdeM), Project Ploughshares (Cesar Jaramillo) et de l’Institut RIDEAU (Ceasefire.ca : Peggy Mason)
- Amender la loi canadienne sur les bombes à sous-munitions selon les recommandations du Comité international de la Croix-Rouge, de Mines Action Canada (Erin Hunt) et du négociateur en chef canadien de la Convention sur les Cluster Bombs, Earl Turcotte.
- Tenter de protéger les Kurdes de l’Armée islamiste et de la Turquie.
- Protéger les pays africains des attaques de Boko Haram, Al-Qaeda, Al-Shabbab, Al-Nusra… avec des Casques Bleus canadiens (Haïti n’a pas besoin de soldats, mais de Casques Blancs pour aider à la reconstruction).
Mercredi le 6 avril 2016
Honorable Stéphane Dion
Monsieur le ministre,
Soyez d’abord remercié pour votre courriel du 24 mars, qui aussitôt reçu a été transmis à l’exécutif des Artistes pour la Paix et que notre webmestre a pris l’initiative d’inscrire sur notre site, à l’attention de tous. Votre courriel détaillé abordait quatre sujets principaux : les bombes nucléaires, celles à fragmentation, le TCA ainsi que les bombardements aériens.
Bombes nucléaires
Les bombes nucléaires constituent le principal sujet abordé dans votre lettre adressée à madame Bev Delong, du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire (incidemment, en existe-t-il une version française ?). Comme vous savez, je fais partie des exécutifs de ce réseau et de Pugwash Canada. Nous nous réunirons le 3 mai prochain à Ottawa après le discours du Haut Représentant de l’ONU en Désarmement, M. Kim Won-soo, en vue de nous mettre d’accord sur une réponse.
La participation remarquée du premier ministre Trudeau au Sommet international sur la sécurité nucléaire à Washington les 30 et 31 mars a permis de constater combien l’ascendant moral de notre pays est resté intact, pour avoir refusé il y a soixante-dix ans, malgré ses connaissances technologiques supérieures et l’accès à des mines d’uranium, de fabriquer des bombes nucléaires. Membre du Partenariat international pour la vérification du désarmement nucléaire, comme votre lettre nous en informe, notre pays entame maintenant des négociations en vue d’un traité sur l’interdiction de la production de matières fissiles (TIPMF), profitant de l’avancement technologique de laboratoires canadiens qui permettent de détecter le moindre essai secret souterrain nucléaire, par exemple, de la Corée du Nord.
Cet ascendant moral, dont nous sommes très fiers, contraste avec la duplicité des puissances nucléaires, en particulier celle des États-Unis, pays hôte du Sommet qui a annoncé un programme de mille milliards de $ en trente ans pour la soi-disant modernisation de ses armes nucléaires; vous pouvez consulter à ce sujet l’article du professeur Lawrence Wittner (History emeritus at SUNY/Albany) que j’ai traduit vendredi dernier pour notre site et le site suivant : http://lautjournal.info/20160401/la-campagne-electorale-americaine-et-la-modernisation-de-larsenal-nucleaire
Mais pourquoi hélas, cet ascendant moral du Canada, qui date d’avant l’époque de Lester B. Pearson, prix Nobel de la Paix 1957, votre gouvernement s’apprête-t-il à le dilapider en refusant de se distancer des positions inadmissibles du gouvernement conservateur précédent!? Voici trois exemples flagrants :
- Le 7 décembre dernier, l’Assemblée Générale des Nations-Unies a adopté the Humanitarian Pledge du ministre autrichien des Affaires étrangères en votant la Résolution 70/48 par 139 votes (83%) des 168 nations votantes. Nous croyons que le refus du Canada de rejoindre l’Appel Humanitaire nous prive de la solidarité de 139 pays, essentielle pour réduire éventuellement la menace nucléaire posée par la possession de bombes nucléaires non seulement par neuf pays (dont la Corée du Nord), mais aussi par l’irresponsable dissémination de telles bombes par l’OTAN jusqu’en l’instable Turquie.
- Tariq Rauf, Directeur du Désarmement, du Contrôle des Armes et de la Prolifération Nucléaire au Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), un Canadien que nous avons rencontré à Ottawa le 30 novembre, vous a expliqué dans sa lettre datée du même jour avec une franchise totale, l’embarras ressenti à chaque intervention du gouvernement conservateur sur tous les sujets de désarmement, ce qui devrait vous motiver à vous en distancer plus rapidement.
- Votre estimation que :
« la résolution adoptée par un vote enregistré de 157 POUR, avec 20 abstentions et 5 votes CONTRE (Canada, Israël, Micronésie, Panama et États-Unis) continue de s’attaquer injustement à l’Israël en réclamant son adhésion au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (formulation surprenante vu votre foi exprimée en ce Traité par ailleurs), tout en négligeant des cas graves de non-conformité de la part de nombreux États de la région, dont l’Iran et la Syrie, quant à leurs obligations en vertu du Traité » est pour le moins obsolète.
En 2010, aux côtés de nos amis Pierre J. Jeanniot, Frédéric Back et Murray Thomson, les Artistes pour la Paix participèrent à une pétition de huit cents membres de l’Ordre du Canada contre la bombe nucléaire. Nous avions tenu à inscrire, en divers forums de pression, qu’Israël devait pouvoir être protégé de TOUTE arme de destruction massive, vu que l’Égypte et la Syrie qui critiquaient sa possession unilatérale d’armes nucléaires n’avaient pas signé le traité sur les armes chimiques.
Mais depuis, la Syrie a été débarrassée de ses armes chimiques grâce à deux éminents militaires canadiens, Walter Dorn (Pugwash) et Scott Cairns travaillant à l’Organisation pour l’Élimination des Armes Chimiques de l’ONU (OCPW) à qui fut attribué le Prix Nobel 2013. Et l’Iran a abandonné l’an dernier ses installations d’enrichissement d’uranium susceptibles de faire une arme atomique : vous avez pris depuis l’excellente décision de renouer les liens diplomatiques avec ce pays.
Chacune de vos autres décisions, chacun de vos votes à l’ONU et lettres concernant le nucléaire montrent à quel point la position libérale, donc celle de notre pays, reste hélas engluée dans la même idéologie conservatrice qui ne tient pas compte de la possibilité infinie de mal-fonctionnement, de détournement terroriste ou de déclenchement accidentel par mauvaise interprétation de signaux et répète le leitmotiv que « les bombes nucléaires ne disparaîtront pas de notre vivant » (votre discours mal avisé du 2 mars à Genève) et restent acceptables, quand elles sont entre « bonnes mains » : pourriez-vous nous répondre qui de l’Inde ou du Pakistan constitue de bonnes mains ??
Traité sur le commerce des armes
Votre lettre tentait d’autre part de rassurer notre fibre pacifiste par un ton jovialiste :
« Le Canada est résolu à prévenir le commerce illicite des armes classiques dans le but d’aider à préserver la paix, la sécurité et la stabilité régionales et internationales, à réduire la souffrance humaine et à renforcer la coopération, la transparence et l’action responsable des États sur le commerce international des armes classiques (…). Je suis heureux de vous informer que des représentants du gouvernement procèdent actuellement à l’examen des dispositions législatives et des politiques internes en vue d’apporter les changements qui s’imposent afin d’adhérer au TCA. Bien qu’un certain temps soit nécessaire pour assurer que le Canada répond aux exigences du TCA, je peux vous garantir que l’adhésion du Canada au Traité constitue une priorité pour notre gvt ».
Or, Amnistie internationale, Oxfam, l’Institut RIDEAU ou ceasefire.ca (P. Mason), Project Ploughshares (C. Jaramillo), Daniel Turp et ses étudiants de l’UdeM et d’autres sont unanimement déçus de vos réponses aux médias sur la vente des blindés ontariens à votre client, l’Arabie Saoudite, sujet évacué de votre courriel pourtant daté du matin-même où vous vous apprêtiez à être reçu avec faste par l’ambassade saoudienne à Ottawa. On est loin de l’esprit du TCA et même de la loi canadienne sur l’exportation d’armes que vous persistez à vouloir enfreindre! Une lueur d’espoir : vous avez émis des signaux que vous seriez prêt à entendre un recours à ce sujet, concernant l’utilisation potentielle de tels blindés au Yémen où l’Arabie Saoudite aurait déjà fait six mille morts. Ce recours est préparé avec le soutien moral des APLP (lire http://www.artistespourlapaix.org/?p=10304) par MM. Turp et Jaramillo chacun de leur côté qui évoqueront sûrement l’embargo voté le 26 février par le Parlement Européen sur la vente d’armes à ce pays belliqueux et irrespectueux des droits de la personne : vous écrivant de l’Estrie, je pense évidemment à la malheureuse famille du blogueur Raïf Badawi, maintenu en captivité et sur qui pèse encore la menace de mille coups de fouet.
Bombes à fragmentation
Sur ces vecteurs de morts atroces, nous sommes d’abord ravis d’apprendre que notre pays
« a voté en faveur de la résolution sur la mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous munitions, comme il le fait chaque année depuis la présentation de cette résolution. Nous demeurons également déterminés à traiter de l’impact humanitaire des armes à sous-munitions et des mines antipersonnel. Au cours des dix dernières années, le Canada a versé plus de 230 millions de dollars pour soutenir de tels efforts, notamment par l’entremise du Fonds pour la paix et la sécurité mondiales de mon ministère ».
Voilà qui est positif, comme la signature du Canada dès 2008 de la Convention internationale contre les cluster bombs. Mais le 16 mars 2015, lors de la signature à l’ONU du Canada devenant le 90e état-membre de la Convention, nous avions pris connaissance de l’intention de M. Harper de légiférer avec ce qui était alors perçu comme les intentions les plus croches de TOUS les états-membres. Depuis deux ans, Erin Hunt de Mines-Action Canada et les partis d’opposition ont travaillé au Canada pour amender ce projet jugé inacceptable de M. Baird et de son successeur, au point que la loi adoptée pratiquement sans amendements le 1er septembre 2015 a reçu une sanction méritée d’opposition de TOUS LES PARTIS.
Nous sommes donc consternés (le mot n’est pas assez fort) de lire sous votre (?) plume que « la législation de mise en œuvre du Canada répond à l’ensemble des exigences de cette Convention ». Cette législation du gouvernement Harper a entraîné notre honte d’être Canadiens lors de la réunion des états-membres à Dubrovnik en septembre dernier! Des fonctionnaires du gouvernement Harper y ont présenté cette loi obscène en tentant vainement d’introduire des modifications à la Convention pour allouer à des alliés militaristes l’usage de ces bombes dont + de 90% des victimes sont des enfants ou des fermiers voulant nourrir leurs familles : voir l’article sur notre site du 12 septembre http://www.artistespourlapaix.org/?p=7585.
Le Canada a évidemment été conspué pour cette tentative infâme d’aller contre l’esprit de la convention, par l’ensemble des pays membres et par le comité international de la Croix-Rouge. Comme M. Earl Turcotte, ancien fonctionnaire en charge de ce dossier et maintenant membre du Groupe 78, l’exprimait dans son article au Ottawa Citizen le 10 décembre dernier, il serait plus que temps que le Canada répudie les clauses inadmissibles de sa législation. Certaines autoriseraient des alliés à en faire l’usage,- nous pensons à l’Ukraine et Israël, derniers utilisateurs occidentaux de bombes à fragmentation à notre connaissance -, et même à un général canadien de pouvoir donner le commandement de les utiliser en cours de conflit!
Missions de bombardement aérien au Moyen-Orient
Voici enfin un dossier qui nous réconcilie un peu. Merci à votre gouvernement d’avoir abandonné les missions de bombardements aériens en Irak et en Syrie, puisque nous sommes persuadés que les bombardements occidentaux et russes causent par leur imprécision chirurgicale (!) des souffrances indicibles à la population civile et qu’ils contribuent à augmenter les morts, les blessés, le nombre de réfugiés désespérés et même facilitent grandement le recrutement des djihadistes. Nous croyons plutôt en votre
« accent renouvelé mis sur le renforcement des capacités locales par l’entremise de la formation, d’une aide humanitaire efficace et de la collaboration avec les collectivités locales en vue de répondre aux besoins de développement à long terme dans la région. Une telle approche pangouvernementale permettra de renforcer la sécurité et la stabilité, d’offrir une aide humanitaire et d’aider nos partenaires à fournir des services sociaux, à reconstruire l’infrastructure et à assurer une bonne gouvernance. »
Et nous vous en félicitons : LE CANADA N’EST PAS EN GUERRE, a justement déclaré le premier ministre Trudeau, contrairement aux Hollande, Cameron et Poutine qui ne se rendent pas compte qu’ils favorisent par leurs discours guerriers la prétention des djihadistes de vouloir être autre chose qu’une « bande de bandits terroristes sans foi ni loi». C’était l’expression employée par Mère Agnès-Mariam de la Croix, combattante de la paix en Syrie aux côtés du prix Nobel de la Paix Mairead Maguire, lors de la conférence de presse que j’avais eu l’honneur de présider à Montréal le 3 décembre 2013 (cette présidence m’a d’ailleurs valu par la suite une fatwa venue du Koweit mettant ma tête à prix!): elle y alerta les rares médias présents (dont TVA et Azeb Wolde-Gheorghis de RDI) sur l’invasion en Syrie de djihadistes occidentaux, afghans et nord-africains, qui ne seront connus que des mois plus tard sous l’appellation frauduleuse État islamiste.
Des états forts, non soumis à des attaques guerrières, avec des gouvernements féministes [1], pourraient s’en débarrasser grâce à des actions policières coordonnées mais hélas on laisse les Kurdes, alliés sûrs de la lutte anti-terroriste islamiste, en butte aux persécutions de la Turquie alliée de l’OTAN et des salafistes waabistes d’Arabie Saoudite. En Afrique si fragile, la mise sur pied de cohortes de Casques bleus mieux équipées grâce à l’apport du Canada (Haïti n’a pas besoin de soldats) et encouragée par la Secrétaire générale de la Francophonie, Michaëlle Jean, pourrait contribuer à protéger les villes et villages africains des Boko Haram, Al-Qaeda, Al-Shabbab et ISIS dont l’équipement provient des débris de l’armée de Kaddhafi en Libye bombardée (à l’encontre de la mission confiée par le Conseil de Sécurité de l’ONU) par… l’OTAN.
Espérant que vous aurez lu jusqu’au bout cette longue lettre dont la motivation première est de vous éclairer sur notre vision de paix éloignée des cloudy ways conservateurs. Compte tenu des divergences exprimées, sans doute une rencontre serait-elle préférable à ces lettres où semblent sévir vos assistants rédacteurs hérités de l’ère conservatrice,
Pierre Jasmin,
Vice-président des Artistes pour la Paix
Cc Le Très Honorable Justin Trudeau, Mesdames Hélène Laverdière et Elizabeth May
Mesdames Peggy Mason & Béatrice Vaugrante, MM. Daniel Turp & César Jaramillo
[1] Merci d’avoir été présent samedi dernier avec votre épouse aux funérailles de madame Claire Kirkland-Casgrain, une pionnière de l’engagement féministe qui honore le Canada à l’international.
À cette lettre aux objectifs très clairement définis, le ministre Stéphane Dion qui prétend être libéral a déjà répondu à au moins deux d’entre eux :
– Vendredi le 8 avril, en signant l’autorisation du Canada de vente de blindés ontariens à un pays féodal, l’Arabie Saoudite, à peu près le pire pays au monde pour ce qui est de l’égalité accordée aux femmes, de l’équité en droits de la personne et de la liberté d’expression, un pays qui a déjà contribué à faire six mille morts dans une guerre civile au Yémen voisin et dont la propagande waabiste et salafiste, envenimée par son pactole pétrolier de dizaines de milliards de $ distribué dans les mosquées du monde, a intoxiqué des dizaines de millions d’islamistes, y compris les pires criminels ayant fondé Al-Qaeda et l’Armée Islamiste (ISIS) et causé des attentats meurtriers dans la population civile au Moyen-Orient (Syrie, Irak et Turquie), en Afrique (par l’intermédiaire de groupes tels Boko-Haram), et en Europe (Paris, Bruxelles…).
– Dimanche le 10 avril en étant présent à Hiroshima pour y livrer un discours borné qui montre hélas qu’il n’a RIEN compris à notre lettre. Répétons que l’essence de celle-ci était d’affirmer qu’il n’y a AUCUNE BONNE MAIN dans lesquelles une bombe nucléaire, une arme chimique ou biologique, une mine anti-personnel ou une bombe à fragmentation peut tomber, il n’y a que des mauvaises mains, car ce sont d’imprécis outils militaires (et même potentiellement terroristes) qui tuent des civils dans des proportions de 90% ou plus.
Pierre Jasmin